5.
Jul. Après avoir ainsi flétri ces crimes énormes, il continue de citer les paroles de mon livre, en priant son protecteur de prêter une attention sérieuse à celles qui suivent : « Dieu, créant l'homme et la femme, leur a donna des organes propres à la génération ». Mais, après avoir cité cette première phrase, il en passe sous silence une multitude d'autres qui ont principalement pour objet d'établir que les âmes sont créées au moment même de la génération, et que ni la chair ni le sang n'ont aucune part dans leur formation ; et il rapporte immédiatement ces autres paroles : « Ainsi il a voulu que les corps fussent engendrés par d'autres corps : bien que lui-même il ait la part principale dans cette oeuvre, en vertu de cette loi générale d'après, laquelle les transformations successives de tous les êtres sont l'ouvrage de sa, toute-puissance aussi bien que leur création. Si donc la procréation s'accomplit par le moyen des organes charnels, si les organes charnels eux-mêmes sont engendrés par des corps, et si les torils sont créés par Dieu seul ; peut-on douter que l'oeuvre de la génération ne doive être attribuée à Dieu ? » Après avoir cité ces paroles de mon livre, il déclare reconnaître lui-même qu'elles sont conformes aux principes de la foi catholique. Qui ne croirait alors qu'il a renoncé à sa propre doctrine? Mais il n'est pas à ce point oublieux de sa gloire ; il estime qu'il en est d'une doctrine perverse comme du sentiment de la pudeur : suivant lui, une défaite éclatante sert au triomphe de la première, de même que la multiplicité des victoires remportées sur la seconde la rend de plus en plus invulnérable. Il reconnaît donc la parfaite orthodoxie de ce passage de mon livre. et, par cette acceptation spontanée d'un argument trop inattaquable, il fait naître au sujet de sa bonne foi de terribles soupçons ; mais , comme si ses forces étaient encore intactes, il croit pouvoir poursuivre la lutte avec espoir de succès. Voici en effet ce qu'il ajoute : « Après s'être exprimé ainsi en des termes conformes à la vérité et à la foi catholique, ou plutôt après avoir parlé un langage qui est dans les livres divins le langage de la vérité, mais qui dans son propre livre cesse d'être un langage catholique, parce qu'il n'est plus inspiré par l'amour de la foi catholique ; Julien pensant que l'esprit du lecteur est suffisamment préparé par ce qui précède, commence à établir les principes de l'hérésie de Pélage et de Céleste ». Il cite ici d'autres paroles de notre livre : « Qu'y a-t-il donc dans les organes de la chair qui appartienne au démon et qui lui donne un droit de propriété sur le fruit de ces mêmes organes? Est-ce la diversité? ruais cette diversité est une propriété des corps dont Dieu seul est l'auteur. Est-ce l'acte même qu'ils servent à accomplir? mais l'union charnelle a été à la fois instituée et bénie par Dieu. C'est Dieu qui a dit : L'homme quittera son père et sa mère et il s'attachera à sa femme, et ils seront deux dans une seule chair : c'est Dieu qui a dit aussi : Croissez et multipliez-vous et remplissez le terre. Est-ce la procréation même des enfants? mais c'est précisément peut-être en vue de cette procréation que le mariage a été institué ». Il répond que ni la diversité des organes, ni l'oeuvre de la chair, ni le fait même de la procréation n'appartiennent au démon ; et, suivant lui, ce n'est point par là que le démon a un droit de propriété sur le fruit de ces mêmes organes ; mais , après toutes ces concessions, il trouve enfin ce dont la propriété doit être attribuée au démon; il qualifie du nom de prudente timidité la décence de notre langage et nous reproche de n'avoir pas osé nommer la concupiscence charnelle au moment même où nous parlions longuement des organes et des oeuvres de la chair. Voici ce qu'il écrit contre moi à son protecteur: « Mais, quoiqu'il s'exprimât librement sur toutes ces choses, Julien n'a point voulu nommer la concupiscence de la chair, qui ne vient point du Père, mais du monde[^1]; de ce monde dont le démon a été appelé le prince. Le démon, en effet, n'a point trouvé cette concupiscence dans le Seigneur fait homme, parce qu'elle n'avait point présidé à l'union de ce même Seigneur avec la nature humaine. De là ces paroles du Fils de Dieu : Voici que le prince de ce monde vient, et il ne trouvera rien en moi[^2] », c'est-à-dire, « il ne trouvera en moi aucune sorte de péché, ni celui que les hommes contractent en naissant, ni aucun de ceux qu'ils ajoutent à celui-là par un acte de leur volonté propre. « Quoiqu'il parlât librement de toutes ces choses qui sont bonnes en tant qu'elles font partie de la nature humaine, il n'a point voulu nommer la concupiscence de la chair, parce que cette concupiscence est un objet de confusion pour les époux eux-mêmes, tandis que tout le reste est pour ceux-ci un sujet de gloire. Pourquoi , en effet, l'œuvre conjugale est-elle soustraite et cachée même aux yeux des enfants, sinon parce que les époux ne peuvent remplir ce devoir sans ressentir les mouvements d'une concupiscence honteuse? Cette concupiscence fil rougir nos premiers parents dès le jour où, pour la première fois, ils couvrirent leur nudité[^3]: tandis qu'auparavant, bien loin de rougir d'eux-mêmes, ils ne songeaient qu'à rendre gloire à la puissance de Dieu et à célébrer toutes ses oeuvres[^4] ». Dans les quatre petits livres de mon premier ouvrage, ô bienheureux père Flore, j'ai traité, il est vrai, la question du mariage, la question de l'union charnelle, la question des corps, la question des organes de la chair, la question de l'oeuvre de Dieu; j'ai traité enfin la question des sentiments que l'on doit avoir à l'égard de la divinité; car ces sentiments sont nécessairement des sentiments de respect ou des sentiments de mépris, suivant que l'on déclare les oeuvres de Dieu bonnes ou mauvaises. Et dans tout le cours de mes écrits, j'ai rendu évidente comme la lumière la vérité de cette maxime, savoir, que le démon n'a eu absolument aucune part dans la formation des corps, et que ceux-ci n'ont reçu de lui aucun sens ; d'où il suit manifestement que les partisans de la transmission du péché ont puisé leur doctrine à la source impure du manichéisme.
Aug. Ceux qui lisent tes écrits et les miens comprennent facilement à quelle méthode d'argumentation tu as eu recours quand tu as écrit ces quatre livres, et avec quelle évidence irrésistible nous avons dans notre réponse démontré l'inanité de tes raisons. Je pourrais dire aussi que par le fait même queues livres ne sont pas lus, mais seulement les miens, il est prouvé suffisamment que j'ai détruit les principes de votre doctrine hérétique. Mais, après avoir opposé à mon livre unique ces quatre livres où tu arrives à peine à la troisième partie du mien, sans en avoir réfuté aucune, tu as présumé toi-même si avantageusement de ton oeuvre, que pour répondre à un autre livre unique publié par moi sur le même sujet, tu as composé ces huit derniers, comme si tu avais pensé qu'il n'était pas nécessaire de me vaincre par la force de l'argumentation, et qu'il suffisait de m'effrayer par le nombre des volumes : tu as si bien compris la futilité de ces quatre livres de réponse et leur inutilité pour les intérêts de ta cause, que tu as jugé nécessaire de composer cette autre réponse en huit livres. Si donc il suffit à ta conscience d'avoir répandu ainsi des flots de paroles également vaines et interminables; qui cependant ne serait effrayé, je ne dis pas de la vérité, mais de la multiplicité de tes livres que je puis à peine compter? O homme prodigieusement fécond et disert, puisque tu as cru devoir opposer quatre livres à mon premier livre, et huit autres à mon second; n'y a-t-il pas lieu de craindre que tu ne songes peut-être à en opposer plus de mille aux six que j'ai écrits en dernier lieu ? C'est en effet ce qui arrivera : si tu en opposes seize au premier, trente-deux au second, et ainsi de suite, en doublant le nombre chaque fois que tu répondras à un livre nouveau ; mais alors tu nous montreras seulement que tu es capable de parler d'une manière indéfinie, sans comprendre un seul mot de ce que tu dis.
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I Jean, n, 16.
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Jean, XIV, 30.
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Gen. III, 7.
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Du Mariage et de la Conc., liv. II, n. 12-11.