13.
Julien. Suivant lui, il n'existe aucun rapport entre le plaisir charnel et la semence, parce que le premier est l'oeuvre du démon c'est à ce plaisir qu'obéissent les époux; la semence, au contraire, et les enfants nés de la semence, sont l'œuvre de Dieu. Toutefois, ajoute-t-il, les parents qui accomplissent l'œuvre du démon lie ;sont point coupables et ne subissent aucun châtiment de ce chef le crime et le châtiment sont le partage des enfants qui ont été créés par Dieu. Ce qui est l'œuvre du démon, c'est-à-dire le plaisir charnel, demeure impuni; d'où il suit que ce même plaisir est une chose bonne, puisqu'il ne mérite aucun châtiment : l'œuvre de Dieu, au contraire, est accusée et condamnée; d'où il suit manifestement qu'elle est une œuvre mauvaise et criminelle, puisque le respect dû à la majesté de son auteur ne la défend pas du châtiment : et ainsi on doit croire que la Divinité opère des choses que l'on ne pourrait excuser de la part du dernier des esclaves. Tel est le sort fatalement réservé à tous ceux qui déclarent la guerre à la vérité; une parole ne tombe pas de leurs lèvres, qui ne soit une parole impie ou une parole insensée ; et il est incontestable que la cause des innocents ne trouvera jamais un défenseur plus éloquent que la perversité de leurs accusateurs.
Augustin. Crois-tu donc mettre mes paroles en contradiction réelle avec la vérité par cela seul que tu m'attribues un langage qui n'est point le mien ? Je n'ai point dit qu'il n'existe aucun rapport entre le plaisir charnel et la semence, puisque le premier n'est point étranger à la naissance de ceux qui sont formés de la seconde ; mais j'ai dit et je soutiens que Dieu opère sur la semence viciée, sans pour cela devenir vicieux ou souillé. Je n'ai point dit que les parents qui accomplissent l'œuvre du démon ne sont point coupables et ne subissent aucun châtiment ; mais j'ai dit et je soutiens qu'ils n'accomplissent point une œuvre diabolique quand ils cèdent à la passion charnelle, non point pour cette passion elle-même, mais dans l'intention de procréer des enfants. Car user honnêtement, comme le font les époux, de ce plaisir mauvais, est une oeuvre bonne en soi ; de même que, par une raison contraire, faire comme les impudiques un usage déshonnête du corps humain, bon en lui-même, c'est accomplir une oeuvre mauvaise. Je n'ai point dit non plus que le plaisir charnel demeure impuni, puisqu'il sera détruit avec la mort au jour où ce corps mortel sera revêtu d'immortalité[^1]. Car ce plaisir n'existe que dans le corps de cette mort dont l'Apôtre souhaitait d'être délivré[^2] il n'existait point, ou du moins il n'existait pas tel qu'il existe aujourd'hui dans le corps de cette vie que le péché fit perdre au premier homme créé dans un état de droiture[^3] : enfin il ne doit point, comme une substance proprement dite, passer dans un autre lieu au jour où nous en serons délivrés et séparés d'une manière irrévocable; mais il sera anéanti comme une infirmité par le fait seul que nous serons parvenus au terme du bonheur et de la perfection, bien que dès aujourd'hui il cesse d'exister aussitôt que le corps est frappé de mort. Il ne saurait plus exister dans un corps mort, quoiqu'il ne puisse exister que dans un corps de mort ; mais s'il doit périr par le fait même de la mort du corps, il ne ressuscitera pas pour cela avec le corps lorsque celui-ci ressuscitera pour ne plus mourir. Comment donc pourra-t-il être puni ou demeurer impuni, puisqu'il sera anéanti pour toujours ? Ils demeureront impunis, au contraire, ceux en qui la souillure native imprimée par lui aura été purifiée par le sacrement de la régénération, et qui n'auront point cédé aux sollicitations plus ou moins vives, plus ou moins pressantes, par lesquelles il cherche à les entraîner à des actions criminelles; et si dans leurs relations conjugales ils ont parfois obéi, non pas au désir de procréer des enfants, mais à la convoitise charnelle, ils auront obtenu ensuite le pardon de cette faute. D'autre part, quand Dieu crée de petits enfants d'une origine justement et légitimement condamnée, ce qu'il crée est bon en soi assurément ; car il crée des hommes, et les hommes même mauvais sont toujours quelque chose de bon en tant qu'ils sont hommes : il ne refuse pas le bienfait de la création à ceux qu'il prévoit devoir être condamnés, ou plutôt à ceux qu'il sait avoir été déjà condamnés dans leur origine ; et c'est pourquoi un très-grand nombre d'entre eux lui devront d'éternelles actions de grâce pour avoir été, par une faveur tout à fait gratuite, préservés du châtiment qui leur était dû. Et si vous pensez qu'on ne saurait sans cruauté condamner de petits enfants qui, suivant vous, n'ont contracté aucun péché originel, vous devez donc dire aussi que Dieu ne saurait, sans être cruel, ne point retirer de ce monde des enfants qui, suivant vous, sont exempts de toute espèce de péché et qu'il prévoit devoir infailliblement mourir après s'être rendus coupables de péchés nombreux et énormes dont ils n'auront point fait pénitence ni mérité le pardon ; car, d'après les lumières de la raison humaine, il semble plus cruel de ne point délivrer, quand on le peut, des âmes exemptes de toute sorte de péché, soit grand, soit petit, que de condamner les enfants d'un pécheur. Or , puisque vous n'avez pas assez de force pour proclamer que la première de ces deux manières d'agir est conforme à l'équité, de quel front osez-vous soutenir que la seconde est contraire à cette même équité ?
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I Cor. XV, 53.
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Rom. VII, 24.
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Ecclé. VII, 30.