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Julien. Vous voulez alors la contrainte dans une chose qui n'existe plus, dès qu'elle subit une contrainte. A ce mouvement libre de l'âme, qui n'a besoin pour naître d'aucune pression, donnez une cause plus ancienne que le mouvement, vous le supprimez au lieu de l'engendrer. Car le nom même de volonté n'a d'autre force que d'être indépendante de la matière dans ses mouvements. Demande alors d'où vient la volonté et remonte au-delà d'elle-même; ce n'est point chercher le point d'où elle vient, mais le point où elle finit; car on ne comprend point qu'elle existe dès lors que vous la réduisez aux ténèbres, ou au néant; et l'on ne saurait appeler une volonté que ce qui peut subsister dans un mouvement de l'âme et sans aucune contrainte. Qu'il y ait contrainte, il y aura mouvement sans doute, mais il n'y aura plus cette volonté dont la définition nous exprimait la force dans sa seconde partie, c'est-à-dire sans coaction. Si donc la volonté n'est autre chose qu'un mouvement de l'âme et sans coaction, c'est à tort que l'on cherche l'origine d'une chose dont la condition est de s'évanouir dès qu'elle est prévenue. Examine donc le sens de ta question: « D'où est venue», dis-tu, « dans le premier homme, cette volonté mauvaise qui ressemble à un mauvais arbre? » et tu proclames que la volonté vient de notre origine. Car la volonté est un mouvement de l'âme sans contrainte. Or tout ce qui est nature force à être ce qui vient après: mais que la volonté soit prévenue par des causes antérieures, elle cesse d'être volonté ; elle n'est plus dans sa condition si on lui assigne une origine.
Augustin. Si la volonté n'a point d'origine parce qu'elle ne souffre aucune contrainte, l'homme lui-même n'a point d'origine qui l'ait fait homme, puisqu'il n'a pas été forcé de l'être.Comment forcer ce qui n'était pas encore? Et assurément l'homme est nature,et toi-même as dit : Tout ce qui est nature force à être ce qui vient après. Je t'en supplie, examine tes paroles: ne ferme point les yeux pour mouvoir ta langue, comme celui qui parle en songe. Une chose qui n'est pas ne saurait souffrir contrainte. Vois encore combien il est insensé de nier que tout ce qui existe ait une origine, puisque origine vient de oriri, commencer d'être. Ce qui est en effet sans avoir d'origine , a toujours été : s'il est sans avoir toujours été, il a commencé d'être, et s'il a commencé d'être, il a une origine. Donc la volonté de pécher, qui n'a point toujours été et qui est maintenant, a commencé d'être; car si elle existe et qu'elle n'ait point commencé, elle a toujours été : mais comme elle n'a pas toujours été, donc elle a commencé. Viens te récrier maintenant contre une vérité aussi claire, c'est ce qui convient à ta sotte loquacité; viens nous dire: Elle a commencé, il est vrai, mais elle n'a point d'origine; ou, ce qui est plus absurde encore: Elle n'était pas, elle est, toutefois elle n'a point commencé. Si tu ne parles point de la sorte, pour ne point passer pour un homme ridicule et tout à fait faux, cherche d'où est née chez l'homme cette mauvaise volonté qui a eu un commencement, tune saurais le nier; car impossible de nier qu'il fut un temps qu'elle n'était pas, et qu'elle a commencé d'être. Cherche donc son origine, et tu trouveras l'homme ; car c'est de lui qu'est née cette volonté du mal, qui n'était pas en lui auparavant. Cherche encore quel était l'état de l'homme avant que la volonté du mal naquît de lui; tu le trouveras bon, car c'est par cette volonté qu'il est devenu mauvais, et avant qu'elle naquît de lui, il était comme l'avait fait celui qui est bon, c'est-à-dire qu'il était bon. Voici donc ce qu'à dit Ambroise, mon docteur et tout à la fois ton vainqueur[^1] : « Le mal est donc venu de ceux qui étaient bons ». Mais quand tu viens nier cette vérité et nous dire : « Il est contraire à la nature des choses que le mal unisse du bien, et du juste l'injustice » ; tu viens en aide aux Manichéens pour introduire la nature du mal, d'où tu prétends que naissent les maux; en sorte qu'ils félicitent en toi le patron de leur erreur, si tu n'es toi-même vaincu avec eux. Car c'est toi dont l'admirable éloquence, ou plutôt la fureur, défend les enfants au point de les soustraire au Sauveur, et attaque les Manichéens au point de les soulever contre le Sauveur.
- Ambr, lib. de Isaac et Anima, c. 7.