XII.
« Que ne jugez-vous pour le moins par l'expérience des choses présentes, combien ces promesses et ces espérances sont vaines? Apprenez, pauvres misérables, ce qui doit vous arriver après la mort par ce qui vous arrive durant la vie. Voilà la plus grande et la meilleure partie de vous-mêmes, si l'on vous veut croire, qui a faim et soif, qui est travaillée de pauvreté et de misère : et Dieu le souffre, et Dieu le dissimule! Ou il ne veut pas secourir les siens, ou il ne le peut, de sorte qu'il est, ou impuissant ou injuste. Toi qui te figures une immortalité après cette vie, ne sens-tu pas ta condition, ne reconnais-tu pas ta faiblesse lorsque tu vois les dangers, lorsque tu es dans les ardeurs de la fièvre et dans les tranchées de la douleur? Misérable, qui ne veut pas confesser sa misère alors qu'il la sent! Mais laissons ces petites choses : voici des supplices, des tourments, des croix, non plus à adorer, mais à souffrir; des feux que vous craignez et que vous prédites. Où est ce Dieu qui peut secourir les morts, et qui ne saurait aider les vivants? Les Romains sans l'assistance de votre Dieu, ne sont-ils pas les maîtres du monde et de vous-mêmes? Cependant vous êtes dans les appréhensions et les inquiétudes; vous vous privez des plaisirs honnêtes et légitimes. On ne vous voit point aux jeux publics ni aux pompes ; vous ne vous trouvez ni aux festins solennels, ni aux combats sacrés; vous avez en horreur les viandes auxquelles les prêtres ont touché, et le vin qu'on a emporté des autels. Ainsi il semble que vous craignez même les dieux que vous ne croyez point. Vous ne mettes point de couronnes de fleurs sur vos têtes, et n'usez point de parfums, vous les réservez pour les morts; vous, ne mettez pas seulement de guirlandes sur les sépulcres ; on vous voit toujours pales et tremblants; dignes de miséricorde, même de celle de nos dieux. Enfin, misérables que vous êtes, non seulement vous ne ressusciterez point, mais vous ne vivrez même pas. S'il vous reste donc quelque peu de sagesse et de pudeur, cessez de contempler les deux et de rechercher les destins du monde ; songez à vous et regardez à vos pieds; c'est assez, principalement pour des gens sans lettres, rudes et malpolis; s'il ne vous est pas donné de connaître les choses de la terre, à plus forte raison vous serait-il refusé de discourir de celles du ciel.
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