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Un ancien solitaire, disputant avec des philosophes, qui croyaient l'embarrasser à cause de sa simplicité , exprimait très - bien , par une allégorie , la nature de ce vice : « Mon père, dit-il, m'a laissé, en mourant, chargé de dettes; je me suis délivré de tous mes créanciers; il n'y en a qu'un dont je ne puis me débarrasser, même en le payant tous les jours. » Les philosophes, ne comprenant pas ce qu'il disait, lui en demandèrent l'explication : «La nature, leur répondit-il , m'a soumis à beaucoup de vices ; mais la grâce de Dieu m'a fait désirer ma liberté, et je me suis délivré de tous ces vices, comme de créanciers importuns, en renonçant au monde et en rejetant tout ce que mon père m'avait laissé en héritage. Je n'ai plus à craindre maintenant leur poursuite; mais je n'ai jamais pu m'affranchir des importunités de la gourmandise. Je l'ai combattue en diminuant la quantité et la qualité de la nourriture, et je n'échappe pas cependant à ses violences : elle me fait sans cesse de nouveaux procès , et j'ai beau payer, je ne puis jamais la satisfaire et me délivrer de sa dépendance. »
Ceux qui avaient méprisé ce solitaire, comme un homme simple et ignorant, reconnurent qu'il excellait dans la morale, qui est une des parties les plus importantes de la philosophie , et ils s'étonnèrent qu'il eût pu, naturellement et sans instruction, arriver à une sagesse qu'ils n'avaient pas atteinte avec toute leur science et leurs efforts. Mais nous avons assez parlé de la gourmandise; reprenons maintenant ce que nous avons commencé à dire sur la parenté qui existe entre tops les vices.