10.
L'abbé Moyse répondit : Je ne vous ai pas dit que la récompense des bonnes oeuvres serait enlevée. Car Notre-Seigneur a dit : « Celui qui donnera au plus petit, seulement un verre d'eau froide, en mon nom, je vous dis en vérité qu'il ne perdra pas sa récompense. » (S. Math., X, 42.) Mais je dis que l'action extérieure cessera, c'est-à-dire les privations du corps, les combats de la chair et tous les besoins que cause l'inégalité des conditions. Car si nous persévérons dans l'étude, si nous nous imposons des jeûnes pour purifier notre coeur et dompter notre corps, c'est que maintenant la chair combat contre l'esprit. (Galat., V, 17.) Quelquefois, même en cette vie, la trop grande fatigue, la maladie, la vieillesse, font cesser les choses, parce que l'homme ne peut plus les pratiquer. Elles cesseront bien davantage dans l'autre vie, puisque ce qui est corruptible se revêtira d'incorruptibilité. Le corps, qui était animal, ressuscitera spirituel, et la chair ne pourra plus rien contre l'esprit.
C'est ce que l'Apôtre annonce clairement en disant : « Les exercices corporels servent peu; mais la piété, c'est-à-dire la charité , est utile à tout; elle a les promesses de la vie présente et de la vie future. » (I Tim., IV, 8.) En disant que les exercices extérieurs servent peu, il déclare évidemment qu'on ne peut pas toujours les pratiquer, et qu'ils ne donnent pas seuls la véritable perfection. Son expression s'applique à la brièveté du temps, l'homme devant les interrompre dans cette vie, au moins à la mort; et aussi au peu d'utilité qu'on en retire; car la mortification du corps n'est que le commencement de la vie spirituelle; elle ne donne pas la perfection de la charité, qui a seule les promesses de la vie présente et future. Nous croyons donc que les pratiques extérieures sont nécessaires, parce qu'elles sont des moyens de parvenir à la véritable charité.
Les autres oeuvres de piété et de miséricorde dont vous parlez, sont également nécessaires en ce monde, où règne l'inégalité des conditions; elles deviennent utiles dans les besoins si multipliés des pauvres, des malheureux, des infirmes, que cause l'injustice des hommes, qui gardent pour eux ce que le Créateur a fait pour tous. Tant que cette inégalité durera, les oeuvres de charité seront utiles et nécessaires, et ceux qui les pratiqueront avec amour et zèle auront droit à l'héritage éternel ; mais ces oeuvres cesseront dans le ciel, où régnera le bonheur. Les besoins qui les réclament n'existeront plus, et ceux qui les pratiquaient n'auront plus qu'à aimer Dieu et à contempler les choses divines dans la pureté de leur coeur. C'est vers ce but que tendent tous ceux qui, dans ce monde, s'appliquent à s'instruire et à purifier leur âme. Ils veulent au milieu des combats de la chair, en vaincre la corruption et se rendre, dès maintenant, dignes de la promesse du Sauveur : « Bienheureux les coeurs purs, parce qu'ils verront Dieu. » (S. Matth., V, 8.)