29.
L'ABBÉ ISAAC. Toutes les larmes ne viennent pas du même sentiment et de la même vertu. On pleure quelquefois, lorsque l'épine du péché déchire notre âme et nous fait dire : « J'ai souffert dans mes gémissements; je laverai toutes les nuits mon lit de mes larmes, je l'arroserai de mes pleurs » (Ps. VI, 7); et encore : « Versez jour et nuit des torrents de larmes; ne prenez aucun repos, et que la prunelle de vos yeux ne se tarisse pas. » (Thren. , II, 18.) On pleure aussi en contemplant les biens éternels , et en désirant la gloire qui nous est réservée. Dans l'attente de cette joie, de ce bonheur ineffable, nos yeux deviennent comme deux fontaines de larmes, et notre âme, altérée de Dieu , qui est l'eau vive , s'écrie : « Quand arriverai-je , quand paraîtrai-je en la présence de Dieu. Je me suis nourri de larmes , la nuit et le jour. » (Ps. XLI, 4.) Elle gémit sans cesse en disant : « Hélas! que mon pèlerinage se prolonge, et depuis combien de temps je suis exilée. » (Ps. CXIX, 5.) Quelquefois ce n'est pas le remords de la conscience qui fait pleurer , mais la crainte de l'enfer et la pensée du terrible jugement. Le Prophète s'écrie alors épouvanté : « Seigneur, n'entrez pas en jugement avec votre serviteur, car aucun vivant ne sera justifié en votre présence. » (Ps. CXLII, 2.) On pleure encore quelquefois non sur ses propres fautes, mais sur l'endurcissement et les péchés des autres. Samuel pleurait sur Saül ; Notre-Seigneur répandait des larmes sur Jérusalem, comme Jérémie qui avait dit : « Qui donnera de l'eau à ma tête et une fontaine à mes yeux? et je pleurerai, nuit et jour, les morts de la fille de mon peuple. » (Jér., IX, 1.) Ce sont ces larmes dont parle le Psalmiste : « Je mangeais la cendre comme le pain, et je mêlais mes larmes à mon breuvage. » (Ps. CI, 10.)
Ces larmes sont différentes des larmes du Psalmiste, dans le vie psaume; au lieu d'être celles d'une personne pénitente , ce sont celles du juste au milieu des misères de cette vie et des tristesses de ce monde. Non-seulement le texte, mais le titre du psaume, le prouve : Prière du pauvre affligé qui répand sa prière devant Dieu ; et cette prière est celle du pauvre dont parle l'Évangile : « Bienheureux les pauvres d'esprit, parce que le royaume des cieux leur appartient. » (S. Matth., V, 3.) Combien peu ressemblent à ces larmes, celles qu'on tire avec peine d'un coeur desséché. Il ne faut pas cependant les croire inutiles; car elles montrent une bonne disposition , dans ceux surtout qui ne possèdent pas la science parfaite et qui ne sont pas encore purifiés de leurs fautes passées ou présentes.