1.
Après avoir goûté un peu de sommeil vers le matin, nous eûmes une grande joie quand parut la lumière, et nous nous empressâmes de demander au bienheureux abbé Moyse l'exécution de sa promesse. Il s'exprima en ces termes : J'admire vraiment l'ardeur de votre, désir, et je crains que vous n'ayez pas assez profité de cet instant de repos, que je souhaitais vous voir prendre sur nos entretiens, pour délasser votre corps. En voyant votre zèle, je m'inquiète pour moi-même; car il est nécessaire, quand on acquitte de semblables dettes, d'apporter autant de ferveur à vous parler, que vous en mettez à m'écouter. Il est dit: « Si vous êtes assis à la table d'un homme puissant, considérez avec soin ce qu'on y apporte, et en y portant la main, pensez que vous devez préparer un pareil repas. » (Prov., XXIII, 1. )
Puisque nous devons parler de la vertu de la discrétion, dont j'allais vous entretenir, lorsque la nuit est venue nous interrompre, il est bon de vous en montrer d'abord l'excellence par le témoignage des Pères. Quand nous saurons ce qu'ils en pensent, nous tâcherons d'en prouver l'utilité et les avantages, en rapportant les exemples anciens et nouveaux de ceux qui sont tombés pour ne l'avoir pas assez pratiquée. Nous verrons ainsi plus facilement quel est son mérite et son importance, et combien nous devons la désirer et la cultiver.
La discrétion, en effet, n'est pas une petite vertu; l'homme seul ne saurait l'obtenir, et il n'y a que la grâce de Dieu qui puisse la donner. L'Apôtre la compte parmi les plus nobles dons du Saint-Esprit. «Les uns reçoivent du Saint-Esprit la parole de sagesse, les autres la foi dans le même Esprit, d'autres la grâce de guérir les corps..., d'autres enfin la discrétion, le discernement des esprits. » (I Cor., 10.) Après avoir énuméré les dons du Saint-Esprit, il ajoute : « Un seul et même Esprit opère toutes ces choses, et les partage à chacun comme il lui plaît. » (Ibid.) Vous voyez que la discrétion n'est pas un présent petit et passager, mais bien un don précieux de la grâce divine. Si un solitaire ne fait pas tous ses efforts pour l'acquérir et pour discerner sûrement les esprits qui envahissent son âme, il arrivera nécessairement qu'il s'égarera comme dans une nuit profonde, et qu'il tombera souvent, non pas seulement au milieu des rochers et des précipices, mais encore dans les chemins les plus droits et les plus unis.