5.
Je veux, comme je vous l'ai promis, confirmer par des exemples le jugement du bienheureux Antoine et des anciens Pères. Rappelez-vous ce qui s'est passé dernièrement sous vos yeux mêmes. Il y a peu de jours que le vieillard Héron a été entraîné dans l'abîme, par les artifices du démon. Il avait habité cinquante ans ce désert; nous savons qu'il y vécut dans une grande austérité, et qu'il se distingua entre tous par sa ferveur et par son amour de la solitude. Comment, après tant de travaux, a-t-il pu être trompé par le démon? comment sa chute a-t-elle causé tant de larmes à tous ceux qui vivaient avec lui dans le désert? N'est-ce pas parce qu'il manqua de discrétion, parce qu'il aima mieux écouter son propre jugement que les conseils de ses frères et les règles des anciens. Il pratiquait ses jeûnes avec une telle rigueur, et il était si passionné pour la solitude et le secret de sa cellule, qu'on ne put jamais lui faire prendre un repas avec ses frères, et célébrer avec eux la fête de Pâques; ce jour là, tous les solitaires veillaient dans l'église à cause de la solennité. Il ne voulut jamais se joindre à eux, de peur qu'en prenant un peu de légumes, il ne manquât à ses résolutions. Cet orgueil l'égara; il prit Satan pour un ange de lumière, et il lui obéit avec docilité, en se précipitant dans un puits dont on n'apercevait pas le fond. Celui qu'il prenait pour un bon ange, lui avait persuadé qu'il ne lui en arriverait aucun mal, en récompense de ses mérites et de ses vertus. Pour en faire l'expérience, il se jeta la nuit dans le puits, espérant prouver sa sainteté, en sortant sans la moindre blessure. Les frères eurent beaucoup de peine à l'en retirer à moitié mort, et, ce qu'il y a de plus déplorable, c'est qu'au bout de trois jours, près de rendre le dernier soupir, il persévéra dans son illusion, et la mort même ne put lui persuader qu'il avait été le jouet du démon. En considération de tant de travaux et d'années passées dans le désert, ceux qui déploraient ce malheur obtinrent , mais avec peine, du saint abbé Paphnuce, qu'il ne fût pas mis au rang des suicidés, et qu'on pût offrir pour lui les prières des morts.