XVI.
Nous interdire la fureur, c'était donc nous interdire toute espèce de spectacles, et le Cirque surtout, dans lequel règne particulièrement la fureur. Voyez le peuple se poussant vers ces représentations! Quelle agitation! quel tumulte! quel aveuglement! Quelle anxiété sur le vainqueur! Le préteur est trop lent au gré de son impatience: ses yeux roulent, pour ainsi dire, dans l'urne, remués avec les sorts. On attend en suspens le signal du préteur. Une même extravagance arrache mille cris extravagants. Je reconnais leur démence à la démence de leurs discours, « Il l'a jetée! » s'écrient-ils. Et tous de s'annoncer réciproquement ce que tous ont vu à la fois. J'ai en main le témoignage de leur aveuglement: ils ne voient pas ce qui est tombé, ils le prennent pour une serviette1; mais ce n'est rien moins que l'image du démon précipité du ciel dans l'enfer. Puis les fureurs, les animosités, les discordes et tout ce qui est interdit aux pontifes de la paix. De là tant d'imprécations et d'injures, sans haine qui les justifie; tant de suffrages sans amour qui les provoque. Quel profit peuvent espérer pour eux-mêmes des spectateurs qui ne sont pas à eux-mêmes, si ce n'est peut-être qu'ils gagnent de n'être plus à eux-mêmes! Ils s'attristent du malheur d'autrui; ils se réjouissent du bonheur d'autrui. Tout ce qu'ils souhaitent, tout ce qu'ils maudissent leur est étranger. Leur affection est aussi vaine que leur haine est injuste. Peut-être serait-il plus permis d'aimer sans motif que de haïr injustement? Du moins Dieu nous défend-il de haïr même avec raison, puisqu'il nous a ordonne d'aimer nos ennemis. » Il nous défend également de maudire qui que ce soit, même avec raison: « Tu béniras ceux qui te maudissent, » dit-il. Mais quoi de plus amer que le Cirque, où les spectateurs n'épargnent ni princes, ni concitoyens! Si quelqu'un de ces emportements du Cirque est permis au Chrétien, assurément ils lui sont permis également dans le Cirque: lui sont-ils interdits partout? ils le sont aussi dans le Cirque.
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On donnait le signal des jeux avec une serviette. Cassiodore nous apprend l'origine de cet usage. Un jour que Néron prolongeait son dîner, le peuple sollicitait à grands cris l'ouverture du spectacle. L'empereur voulant satisfaire cette impatience, jeta la serviette qu'il tenait à la main, pour indiquer que l'on pouvait commencer. La coutume s'en conserva depuis. Il paraît néanmoins, par des vers d'Ennius, que nous devons à une citation de Tertullien, que cet usage est bien plus ancien que Néron. ↩