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Works Jerome (347-420) Epistulae Correspondance

A ASELLA. RÉFUTATION DES CALOMNIES DE SES ENNEMIS.

Lettre écrite au moment de son départ de Rome, en 385.

Je ne suis pas assez téméraire pour me flatter de pouvoir reconnaître vos bontés. Il n'y a que Dieu qui puisse vous donner une récompense proportionnée à vos mérites. Pour moi, qui suis indigne de l'amitié que vous me témoignez en Jésus-Christ, jamais je n'ai dû croire ni même souhaiter que vous m'en donniez des marques si sensibles. Quoique je passe dans l'esprit de quelques-uns pour un scélérat et pour un homme plongé dans toutes sortes de crimes ( ce qui est encore peu en comparaison de mes péchés), c'est néanmoins bien agir que de juger si favorablement, même ceux qui sont méchants dans votre opinion. Car il est toujours très dangereux de condamner le serviteur d'autrui; et celui qui dénature les bonnes actions des autres obtient difficilement le pardon de sa médisance. Viendra, viendra un jour, un jour où nous gémirons, vous et moi, des tourments auxquels plusieurs seront condamnés.

On me dit un infâme, un fourbe, un menteur, un magicien. Lequel vaut mieux ou d'avoir cru cela, ou de l'avoir supposé contre des innocents, ou même de ne l'avoir pas voulu croire touchant des coupables? Quelques-uns me baisaient les mains tandis qu'ils déchiraient ma réputation de la manière la plus impitoyable. Ils me témoignaient de bouche qu'ils prenaient part à mes peines, et dans le fond du coeur ils se réjouissaient de mes disgrâces; mais le Seigneur, qui lisait dans leur âme, se moquait de leur malice et se réservait de me juger un jour avec eux. L'un blâmait ma démarche et mon rire; l'autre remarquait dans les traits de mon visage je ne sais quoi de choquant; mes manières simples et naturelles paraissaient à d'autres affectées. C'est ainsi que, pendant près de trois ans, j'ai été en butte à leurs sarcasmes et à leurs calomnies.

Je me suis trouvé plusieurs fois avec des vierges; j'ai expliqué souvent à quelques-unes l'Écriture sainte le mieux qu'il m'a été possible. Cette étude nous obligeait d'être souvent ensemble; l'assiduité donnait lieu à la familiarité, et la familiarité faisait naître la confiance. Mais qu'elles-mêmes disent si elles ont remarqué dans ma conduite quelque chose d'indigne d'un chrétien ! Ai-je reçu de l'argent de qui que ce soit? N'ai-je pas toujours rejeté avec mépris tous les présents qu'on a voulu me faire? A-t-on entendu sonner dans mes mains l'or d'autrui? A-t-on remarqué quelque chose d'équivoque dans mes discours ou de passionné dans mes regards ? Mon sexe seul fait tout mon crime ; encore ne me l'objecte-t-on , ce crime, qu'à l'occasion du voyage de Paula et de Melania à Jérusalem. Je pardonne à mes ennemis d'avoir cru celui qui m'a calomnié avec tant d'injustice; mais puisqu' aujourd'hui cet imposteur désavoue tout ce qu'il a inventé contre moi, pourquoi refusent-ils de le croire? C'est le même homme qui, après m'avoir accusé de faux crimes, avoue maintenant que je suis innocent; et certes ce qu'un homme confesse au milieu des tourments, est bien plus croyable que ce qu'il dit en plaisantant. Mais peut-être aime-t-on mieux croire des impostures, parce qu'on trouve plus de plaisir à les entendre et qu'on force même les autres à les publier.

Avant d'avoir connu sainte Paula , tout Rome m'estimait et applaudissait à ma vertu; chacun me jugeait digne du souverain sacerdoce. Le pape Damase, d'heureuse mémoire, faisait le sujet de mes discours; je passais pour un saint, pour un homme véritablement. humble et d'une érudition profonde.

M'a-t-on vu entrer chez quelque femme d'une conduite peu régulière? Me suis-je attaché à la magnificence des habits, à un visage fardé, à l'éclat des pierreries et à l'or? N'y avait-il dans Rome qu'une femme pénitente et mortifiée qui fût capable de me toucher, une femme desséchée par des jeûnes continuels, négligée dans ses habits, devenue presque aveugle à force de pleurer, et qui passait les nuits entières en oraison ? une femme qui n'avait d'autres chansons que les psaumes, d'autre entretien que l’Evangile, d'autre plaisir que la continence, d'autre nourriture que le jeûne; une femme enfin que je n'ai jamais vue manger ? N'y avait-il, encore une fois, que cette femme qui pût avoir de l'attrait pour moi ? Touché de sa chasteté merveilleuse, à peine ai-je commencé à la voir et à lui donner des marques de respect, qu'aussitôt tout mon mérite a disparu, toutes mes vertus se sont évanouies.

O envie qui commences par te déchirer toi-même! ô ruses et artifices du démon qui fait à la sainteté une guerre continuelle ! De toutes les femmes de Rome, Paula et Melania sont les seules qui soient devenues la fable de la ville, elles qui, en abandonnant leurs biens et leurs enfants, ont porté devant tout le monde la croix du Sauveur; comme l'étendard de la piété. Si elles allaient au bain, si elles se servaient des parfums les plus exquis, si elles savaient profiter de leurs richesses et de leur veuvage pour vivre avec plus de liberté et pour entretenir leur luxe et leur vanité , alors on les traiterait avec respect, on les appellerait saintes. Mais, dit-on, elles veulent plaire sous le sac et la cendre; elles veulent aller en enfer avec tous leurs jeûnes et toutes leurs mortifications! Comme si elles ne pouvaient, pas se damner avec les autres, en s'attirant par une vie mondaine l'estime et les applaudissements des hommes ! Si c'étaient des païens ou des Juifs qui condamnassent la vie qu'elles mènent , elles auraient du moins la consolation de voir que leur conduite ne déplairait qu'à ceux à qui Jésus-Christ ne plait pas ; mais ce qu'il y a de plus étrange, c'est que ce sont des chrétiens qui, au lieu de prendre soin de leurs propres affaires et d'arracher la poutre qui leur crève les yeux, tâchent de découvrir une paille dans l'oeil de leur prochain, déchirent continuellement la réputation de ceux qui ont pris le parti de la piété, et s'imaginent remédier à leurs maux en censurant la conduite de tout le monde et en grossissant le nombre de ceux qui vivent dans le libertinage.

Vous aimez à prendre un bain tous les jours, mais Paula et Melania croient qu'il ne sert qu'à les salir au lieu de les laver. Vous êtes dégoûtés de francolins, et vous faites gloire d'avoir manqué à l'esturgeon; et moi, je ne me nourris que de fèves. Vous prenez plaisir à entendre les bouffonneries d'une troupe de plaisants qui vous environnent; et moi je me plais à voir couler les larmes que répandent Paula et Melania. Vous souhaitez de posséder ce qui appartient aux autres, et elles méprisent ce qu'elles possèdent. Vous aimez les vins mêlés de miel, et elles trouvent l'eau froide plus agréable. Vous croyez perdre tout ce que vous ne possédez pas, tout ce que vous ne mangez pas, tout ce que vous ne dévorez pas dès à présent; pour elles, sûres des promesses de Dieu, elles tournent du côté du ciel toutes les affections de leur coeur. J'admets pour un moment que leur espérance soit chimérique ; que vous importe? elle est fondée , cette espérance, sur l'assurance qu'elles ont de ressusciter un jour.

Quant à nous, nous avons horreur de la vie que vous menez. Soyez gros et gras, à la bonne heure ; moi , je préfère avoir le visage pâle et décharné. Vous vous imaginez que notre genre de vie n'est propre qu'à faire des malheureux; et pourtant nous vous croyons plus malheureux que nous. Nous nous rendons la pareille, et nous nous regardons les uns et les autres comme des insensés.

Je vous écris ceci, Asella, au moment de m'embarquer, et je vous l'écris les larmes aux yeux et le coeur pénétré de douleur. Je rends grâce à mon Dieu de m'avoir jugé digne de la haine du monde. Obtenez-moi de lui de pouvoir retourner de Babylone à Jérusalem, afin qu'affranchi de la domination de Nabuchodonosor, je puisse passer mes jours sous celle de Jésus, fils de Josedech. Qu'un nouvel Esdras vienne me conduire en mon pays! J'étais bien fou de vouloir chanter les cantiques du Seigneur dans une terre étrangère, et d'abandonner la montagne de Sinaï pour mendier le secours de l'Égypte. J'avais oublié ce que dit l'Évangile, qu'on ne peut sortir de Jérusalem sans tomber aussitôt entre les mains des voleurs qui dépouillent, blessent et tuent tous ceux qu'ils rencontrent. Quoique le prêtre et le lévite me méprisent, je ne serai pas abandonné du charitable Samaritain , je veux dire de celui que les Juifs appelèrent autrefois Samaritain, et possédé du démon; et qui, après avoir rejeté le nom de possédé, ne refusa pas celui de Samaritain, qui, dans la langue hébraïque, signifie «gardien. » Quelques-uns m'accusent de magie; comme je suis serviteur de Jésus-Christ, je reconnais en cela la marque et le caractère de ma foi. Les Juifs ont donné à mon divin maître le nom de magicien, et l'apôtre saint Paul a été traité comme un séducteur. Dieu veuille que je ne sois exposé qu'à des «tentations humaines et ordinaires! » Quelle part ai-je encore eue aux souffrances de Jésus-Christ, moi qui combats sous l'étendard de sa croix? L'on m'a imputé des crimes infâmes, mais je sais qu'on arrive au royaume du ciel « à travers la bonne et la mauvaise réputation. »

Je vous prie de saluer de ma part Paula et Eustochia, qui, malgré les propos de mes ennemis, me seront toujours chères dans le Christ. Saluez aussi notre bonne mère Albina, notre soeur Marcella, Marcellina et sainte Félicité dites-leur que nous comparaîtrons un jour devant le tribunal de Jésus-Christ, où notre conscience paraîtra à nu. Souvenez-vous de moi, ma chère soeur Asella, vous qui êtes l’exemple et l'ornement des vierges , et calmez par vos prières les tempêtes de la mer.

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