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Works Jerome (347-420) Epistulae Correspondance

A MARCELLA. SAINT JÉRÔME L'ENGAGE A VENIR A BETHLÉEM.

Son genre de vie. — Habitudes laborieuses des habitants.

Lettre écrite du monastère de Bethléem, en 535.

Ambroise1, aux dépens duquel Origène, qui est notre Chalcentère et notre Adamante2, composa ce nombre prodigieux de livres qu'il a mis au ,jour, dit dans une lettre qu'il lui écrivait d'Athènes, qu'il ne se mettait jamais à table en la compagnie de ce grand homme sans faire lire quelque livre durant le repas, ni au lit sans entendre la lecture de l’Ecriture sainte; et que ,jour et nuit la prière succédait à la lecture et la lecture à la prière. Lâches et sensuels que nous sommes , avons-nous jamais rien fait de semblable ? Hélas! après une ou deux heures de lecture nous bâillons d'ennui ; nous nous frottons le front, nous nous plaignons de l'estomac; et, comme si nous avions beaucoup travaillé, nous cherchons à nous délasser dans des occupations toutes mondaines.

Je ne dis rien de ces festins qui appesantissent l'esprit; de cette démangeaison qu'on a de faire ou de recevoir des visites; de ces conversations où l'on parle sans aucune retenue, où l'on déchire la réputation des absents, où l'on esquisse le portrait de chacun, où l'on s'attaque et l'on se calomnie les uns les autres. Tout le repas se passe dans ces sortes d'entretiens. Quand les convives se sont retirés, on compte la dépense, et alors, ou l'on entre en fureur comme un lion, ou fon se donne mille mouvements inutiles pour amasser de quoi vivre durant plusieurs années, sans penser à ce que dit l'Evangile : « Insensé! on enlèvera ton âme cette nuit; et à qui restera ce que tu as amassé? » On cherche dans les habits non la nécessité, mais le luxe et la vanité. Trouve-t-on quelque chose à gagner? on est toujours sur pied. A-t-on l'ait quelque perte, comme il arrive ordinairement dans les familles? on se chagrine, on languit : le moindre bénéfice nous transporte de joie, la moindre perte nous accable de tristesse. De là vient que le prophète-roi, voyant qu'un même homme changeait à tout moment de visage, disait à Dieu: « Seigneur, effacez leur image dans votre cité. » Créés à l'image et à la ressemblance d'un Dieu, nous prenons plusieurs formes différentes par le penchant malheureux que nous avons au mal ; et, comme un comédien représente sur le théâtre le personnage tantôt d'un Hercule robuste et vigoureux, tantôt d'une Cybèle faible et chancelante: de même nous, que le monde haïrait si nous n'appartenions pas au monde, nous jouons autant de personnages que nous commettons de crimes différents.

Or, comme nous avons déjà passé la meilleure partie de notre vie dans le trouble et dans l'agitation, et comme nous avons ou essuyé des tempêtes, ou heurté contre des écueils; pourquoi ne pas saisir la première occasion qui se présente de nous retirer dans la solitude, comme dans un port assuré? Là, nous vivons d'un pain grossier, de légumes que nous avons arrosés nous-mêmes, et de lait qui fait les délices de la campagne. Nos repas sont simples, mais ils sont innocents; et en vivant de la sorte, le sommeil n'interrompt point nos oraisons, ni l'excès des viandes nos lectures.

En été, couchés à l'ombre d'un arbre, nous nous en faisons un lieu de retraite; en automne, l'air doux et tempéré qu'on respire, et les feuilles qui jonchent la terre, nous invitent à y prendre notre repos; au printemps, toute la campagne y est couverte de fleurs , et le chant des oiseaux nous l'ait trouver un nouvel agrément dans la psalmodie; en hiver, nous n'avons pas besoin d'acheter du bois; nous veillons et nous dormons chaudement au milieu des frimas et des neiges, et, tout pauvres que nous sommes, nous ne laissons pas de nous bien chauffer. Que Rome donc mette son plaisir et sa vanité dans la multitude de ses habitants , dans la fureur de ses gladiateurs , dans les folies de son cirque, dans la pompe et la magnificence de ses théâtres. Que les solitaires même de cette grande ville se fassent une occupation habituelle de voir les femmes, de se trouver dans leurs assemblées ; pour nous, « nous avons avantage à demeurer attachés à Dieu et à mettre notre espérance dans le Seigneur, » afin de pouvoir dire dans le ciel quelle doit être la récompense de notre pauvreté : « Qu'y a-t-il à désirer pour moi dans le ciel, Seigneur, et qu'ai-je souhaité sur la terre que vous seul? » En effet , nous trouverons dans ce royaume céleste une si grande abondance de biens, que nous nous repentirons d'avoir cherché sur la terre des biens fragiles et périssables.

Mais pour revenir à notre petit bourg de Bethléem et à la demeure de Marie ( car on se fait un plaisir de louer ce qu'on possède ) , quelle idée assez grande puis-je vous inspirer de cet endroit où le Sauveur du monde est né, et de cette crèche où il jeta ses premiers cris? Il vaut mieux ne rien dire d'un lieu si saint, que de n'en point dire assez. Où sont ces vastes galeries , ces lambris dorés, ces maisons magnifiques qui ne sont ornées, pour ainsi dire, que des sueurs des malheureux et des travaux des criminels? Où sont ces superbes palais que des citoyens bâtissent , pour procurer à une créature méprisable le plaisir de se promener dans des appartements richement meublés et d'en considérer la beauté plutôt que celle du ciel; comme si le firmament n'était pas le plus agréable de tous les objets et le plus digne d'attirer nos regards? C'est à Bethléem, c'est dans ce petit coin de la terre que le Créateur du ciel a voulu naître; c'est là qu'il a été enveloppé de langes; c'est là que les bergers l'ont vu, que l'étoile l'a fait connaître, que les mages l'ont adoré. Peut-on douter que ce lieu , tout petit qu'il est , ne soit plus saint que le mont Tarpéien, qui n'a été si souvent frappé de la foudre que parce que Dieu l'avait en aversion? Il est vrai que l'Église de Rome est sainte, qu'on y voit les tombeaux des Apôtres et des martyrs, que c'est là qu'ils ont prêché l'Évangile et rendu témoignage à Jésus-Christ , et que la gloire du nom chrétien s'élève tous les jours sur les ruines même du paganisme. Mais au reste, la magnificence, la pompe, la grandeur de cette ville; l'envie qu'on a de voir et d'être vu, de faire des politesses et d'en recevoir, de louer et de médire, d'écouter et de parler; cette foule de monde qu'on y trouve tous les jours, tout cela est entièrement contraire à la profession et au repos des solitaires. Car si on reçoit de la société, on est obligé de rompre le silence; si on ne veut voir personne, on passe pour un orgueilleux ; si on veut rendre les visites qu'on a reçues, il faut aller à la porte des grands du monde et entrer dans des antichambres dorées, au milieu d'une foule d'esclaves qui vous critiquent en passant.

A Bethléem tout est champêtre, et le silence n'y est interrompu que par la psalmodie. De quelque côté qu'on se tourne, on entend le laboureur chanter alleluia, le moissonneur tout en eau psalmodier pour alléger son travail, et le vigneron réciter quelques psaumes de David en taillant sa vigne. Voilà les airs, et, comme on dit communément, les chansons amoureuses que l'on entend ici. Adieu en Jésus-Christ.


  1. Cet Ambroise, comme dit Eusèbe, liv. VI, Hist. eccl., c.15 suivait les erreurs des valentiniens, ou des Marcionites, selon saint Jérôme, lib. de Script. Eccl. Origène le convertit à la religion chrétienne. ↩

  2. Chalcentère, selon l'élymologie grecque, veut dire «qui a des entrailles de fer. » Ammien Marcellin, liv. XXII, donne ce nom à Didyme le grammairien. saint Jérôme est le premier qui l'ait applique à Origène, pour marquer qu'il était infatigable dans le travail. C'est aussi pour cela qu'on l'appelait « Adamantius » c'est-à-dire «qui est de diamant. » ↩

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