X.
1 Parlons maintenant de ce qui est contraire à la vertu, pour en tirer de nouvelles preuves de l'immortalité de l'âme. Tous les vices sont sujets au temps, et ce n'est que pour le temps qu'ils s'élèvent. La vengeance apaise la colère; le dégoût qui suit la jouissance modère ou éteint absolument le vice de la volupté : l'ambition qui recherche les honneurs s'en lasse dès qu'elle les a possédés. Les autres vices s'arrêtent aux objets qui les avaient excités; et ainsi ils passent en un temps pour revenir dans un autre; au lieu que la vertu demeure ferme et immuable, sans abandonner jamais celui qui l'a une fois reçue, car dès que nous la perdons, les vices, qui sont ses ennemis, retournent: ainsi quand elle s'éloigne, et qu'elle se relire, c'est une preuve que nous ne l'avons jamais bien possédée. Quand elle est une fois solidement établie dans notre cœur, elle paraît dans toutes nos actions, et elle ne pourrait exterminer tous les vices si elle ne demeurait ferme dans le cœur dont elle s’est tout à fait emparée. La fermeté et la constance de la vertu est une marque et un témoignage de celle de l'âme où elle est reçue. Le vice et la vertu étant contraires, tout ce qui leur arrive l’est aussi. Les vices sont les mouvements et l'agitation de l'âme ; la vertu est sa paix et son repos. Les vices sont sujets au temps, et les plaisirs, qui sont leurs fruits, passent promptement aussi bien qu'eux. La vertu est stable, durable, et égale à elle-même. Le fruit que l'on tire des vices est propre au temps présent ; la récompense de la vertu est réservée à l'avenir ; et comme l'espace de cette vie est la carrière où la vertu s'exerce, ce n'est point le lieu où elle reçoit la couronne; elle ne lu reçoit que quand elle s'est acquittée de tous ses devoirs et quand elle a achevé tous ses travaux. Mais cela ne vient jamais avant la mort, parce que le principal devoir de la vertu est d'accepter la mort avec joie et de la subir avec constance.
2 La vertu ne reçoit donc sa récompense qu'après cette vie. Bien que Cicéron ait témoigné quelques doutes sur cette matière dans ses Questions Tusculanes, il n'a pas laissé de dire que nous ne jouissons du souverain bien qu'après la mort: « Il faut, dit-il, aller à la mort avec assurance lorsque cela est nécessaire, parce que l'on sait, ou qu'elle nous met en possession du souverain bien, ou qu'au moins elle exempte de toute sorte de mal. » La mort ne détruit donc pas l'homme entier, mais elle le met en étal de jouir de la récompense de la vertu. « Quiconque, ajoute le même orateur, se sera rendu esclave de la volupté, sera condamné à un supplice éternel. » Ce supplice-là dont il parle est le même que l'Écriture appelle la seconde mort, qui est une mort qui n'a point de fin et qui est accompagnée de tourments très rigoureux. Comme il y a deux vies, l'une du corps et l'autre de l'âme, il y a aussi deux morts, dont l'une n'est qu'un effet de la nature, et l'autre est le châtiment du passé. Comme la vie que nous menons sur la terre est sujette au temps, et qu'elle a un terme, la mort qui la détruit en a un aussi.