IV.
Ce que je viens de dire fait voir fort clairement, si je ne me trompe, combien la sagesse et la religion sont étroitement unies. La sagesse regarde les enfants et exige d'eux de l'amour. La religion regarde les serviteurs et exige d'eux de la crainte. Les premiers doivent avoir de l'amour pour leur père, et les seconds de la crainte pour leur maître. Nous devons de la crainte et de l'amour à Dieu, parce qu'il est tout ensemble et notre maître et notre père. Ce qui rend la sagesse et la religion inséparables, c'est que la sagesse fait connaître Dieu et que la religion le fait honorer. La sagesse précède, parce qu'il faut connaître Dieu avant que de lui pouvoir rendre l'honneur qui lui est dû. La sagesse et la religion, ne sont qu'une même chose, bien qu'elles paraissent différentes: l'une consiste dans la connaissance et l'autre dans l'action. Ce sont comme deux ruisseaux qui procèdent de Dieu comme d'une même source, et qui ne peuvent être séparés de lui sans être en même temps desséchés. Les hommes qui ont le malheur d'être séparés de lui par leur ignorance, n'ont ni sagesse, ni piété.
Les philosophes qui adorent plusieurs dieux sont semblables à des enfants abdiqués qui n'aiment plus leur père, et à ces esclaves fugitifs qui ne servent plus leur maître. Mais comme ces enfants qui ont été abdiqués n'ont plus de part à la succession et que les esclaves qui se sont échappés ne sont pas assurés pour cela de l'impunité, ainsi ces philosophes n'ont point de part à l'immortalité, qui est en effet le souverain bien qu'ils recherchent et la succession que Dieu donne à ses enfants dans son royaume, et ne seront point exempts du châtiment éternel dont il punit l'infidélité et l'insolence de ceux qui refusent de lui rendre le service et le culte qu'ils lui doivent. Ceux qui ont adoré plusieurs dieux, et ceux même qui ont fait profession de sagesse, n'ont connu Dieu ni en qualité de père, ni en qualité de maître; les uns ont cru qu'il ne fallait rien adorer ; les autres ont suivi la religion du peuple. Ceux qui ont reconnu l'unité de Dieu, comme Platon qui a déclaré qu'il n'y a qu'un Dieu qui a fait le monde, et comme Cicéron qui a dit que Dieu a produit l'homme d'une manière particulière, ne lui ont pas rendu le culte qu'ils lui devaient comme à leur père et comme à leur maître, non seulement la pluralité des dieux fait voir, comme je l'ai déjà dit, qu'ils ne peuvent être ni nos pères, ni nos maîtres, mais la raison en peut convaincre avec une entière évidence, parce qu'il ne paraît point que les dieux aient fuit l'homme, ni qu'ils aient été avant le temps auquel il a été fait. Il est certain qu'il y avait des hommes sur la terre avant que Vulcain, que Bacchus, qu'Apollon et que Jupiter fussent nés. On n'a pas même la coutume d'attribuer ni à Saturne, ni à Cœlus son père, la formation de l'homme.
Que si nul de ceux que l'on adore n'a formé l'homme, nul ne peut être appelé ni son père, ni son Dieu. Il n'est donc point permis de révérer ceux qui n'ont pu faire l'homme, qui n'a pu être fait que par un seul, et il ne faut révérer que celui qui a précédé Jupiter et Saturne, et qui est avant le ciel et la terre. Il n'y a que celui-là qui ait pu faire l'homme. Il n'y a que lui qui doive être appelé son père et son maître ; il n'y a que lui qui le gouverne avec un droit absolu de vie et de mort. Quiconque ne l'adore pas est un esclave insensé, qui ne connaît pas son maître et qui s'est échappé d'entre ses mains, ou un fils impie qui fuit en la présence de son père.