X.
Continuons à considérer et à admirer les ouvrages de Dieu. Ce sage et souverain créateur a couvert les yeux de paupières, de peur qu'ils ne fussent incommodés par les accidents qui peuvent arriver du dehors. Et c'est de là que Varron croit que vient le nom que les Latins leur ont donné. Pour celui de paupières, il vient de palpitation, parce qu'elles sont dans un mouvement presque perpétuel. Elles sont comme palissadées de petits poils, et forment un rempart très agréable. Leur mouvement, dont la vitesse est incroyable, bien loin d'empêcher la vue, la récrée. La membrane luisante doit être arrosée par une humeur, autrement la vue s'affaiblirait notablement. Que dirons-nous des sourcils, auxquels les poils qui les revêtent servent d'un grand ornement. Ils couvrent les yeux comme deux remparts et empêchent qu'aucune ordure ne tombe dessus. Le nez, sortant comme du milieu qui les sépare, les distingue et rehausse leur beauté. Les deux joues, qui s'étendent doucement, comme deux collines, contribuent aussi à leur sûreté, en parant les coups qui peuvent venir de dehors. Le haut du nez est dur et solide, et le bas est formé par un cartilage tendre et qui obéit à la main. Cette partie du visage, toute simple qu'elle est, a trois usages différents. L'un est de respirer, l'autre est de sentir les odeurs, et le dernier de donner passage aux humeurs qui descendent du cerveau. Quelque bas que semble cet usage, les deux conduits qui y sont destinés ont été laits par la main toute puissante de Dieu d'une structure si merveilleuse qu'ils n'ôtent rien de la beauté du visage. S'il n'y avait eu qu'un canal tout simple, il aurait eu sans doute quelque chose de difforme ; mais le milieu, qui en fait deux, apporte beaucoup de beauté. Ce nombre de deux, réuni de la sorte, est un nombre parfait. Quoique le corps soit unique, il ne pouvait être composé de parties qui conservassent la même unité ; il fallait qu'il en eût de pareilles au côté droit et au côté gauche. Les deux pieds ne sont pas seulement commodes pour agir, mais les uns et les autres de ces membres, outre ces fonctions d'utilité, ont une beauté toute singulière. La tête, qui est le principal ouvrage des mains de Dieu, semble être divisée de la même façon, puisqu'elle a deux oreilles, deux yeux et deux narines. Le cerveau, qui est le principe du sentiment, est divisé en deux parties par une membrane. Le cœur, où l’on croit que réside la sagesse, est unique, et a néanmoins deux ventricules, qui sont les sources du plus pur sang. Le monde de même comprend le ciel et la terre comme ses deux principales parties, ce qui n'empêche point son unité. Ainsi le corps, qui est connue un abrégé du monde, a plusieurs parties doubles, dont l'étroite union et la parfaite correspondance entretiennent l'unité du même corps. Il est difficile d'exprimer combien la bouche, dont l'ouverture et la fente est faite en travers, apporte de commodités et renferme d'agréments. Ses deux fonctions principales sont de recevoir les aliments et d'articuler les paroles. La langue, qui est au dedans, et qui par son mouvement forme la voix, est l'interprète de l'âme. Elle ne la pourrait pourtant former si elle n'y était aidée par le palais, par les dents et par les lèvres. Les dents contribuent plus à former la voix que tout autre organe, comme il paraît dans les enfants, qui ne parlent point avant qu'elles leur soient venues, et dans les vieillards, qui ne font plus que bégayer depuis qu'elles leur sont tombées. La langue n'a cet usage que dans l'homme, et dans quelques oiseaux, dont le chant est fort agréable. Il y a une autre fonction à laquelle elle sert, comme je l'ai dit, non seulement dans l'homme, mais aussi dans les animaux, qui est de ramasser la nourriture après qu'elle a été écrasée et brisée par les dents, et de la faire descendre dans l'estomac. C'est pour cela que Varron croit que le mot de langue vient de ce qu'elle lie tes aliments. Elle sert aussi aux animaux à boire ; car en l'étendant en forme de creux, ils reçoivent l'eau dedans et la poussent vers leur palais. La langue est couverte du palais comme d'une tortue, et entourée d'un rang de dents comme d'une muraille qui la couvre. Les dents, dont l'aspect, bien loin d'être agréable, n'aurait rien eu que d'affreux si elles avaient été toutes nues, sont garnies de gencives, qui ont été ainsi appelées parce qu'il semble qu'elles engendrent les dents. Elles sont encore couvertes des lèvres, qui font un des plus grands ornements du visage. Elles sont aussi plus dures que les autres os, et il était nécessaire qu'elles le fussent, afin qu'elles pussent rompre et briser les aliments. Il n'y a rien de si beau que l'ouverture des lèvres, dont celle d'en haut est séparée au milieu par «ne petite fosse, et celle d'en bas s'avance doucement en dehors avec beaucoup de grâce. Pour ce qui est de la saveur, c'est une erreur de croire qu'elle se sent par le palais : c'est par la langue qu'elle se sent, et non pas pourtant par la langue tout entière, mais seulement par les parties les plus délicates, qui s'étendent aux deux cotés. Cette saveur qui se fait sentir ne diminue rien de la quantité de l'objet d'où elle sort, de ce que l'on boit et de ce que l'on mange, comme l'odeur ne diminue rien non plus de la quantité des corps d'où elle s'élève pour aller frapper l'odorat. Il y a dans le reste du visage des agréments dont nul discours ne peut approcher. Le menton descend doucement du haut des joues, et se divise à la pointe par une fente. Le cou est droit et étroit ; les épaules en descendent par une pente comme insensible, et étendent les bras, qui ont la force en partage. Les jointures des coudes ne sont pas moins belles que commodes. Que dirai-je des mains, de ces ministres de la raison et de la sagesse? L'ouvrier industrieux qui les a faites en a comme creusé le dedans, afin qu'elles fussent plus propres à retenir ce qu'elles auraient pris, et les a terminées par les doigts, dont on ne saurait dire si l'on doit plus admirer ou le service qu'ils rendent, ou l'ornement qu'ils apportent. Leur nombre, qui est un nombre entier et parfait, leur ordre, qui est bien séant et convenable, leurs jointures, qui sont justes et égales, leurs ongles, qui, en s'arrondissant, couvrent et fortifient leurs extrémités, ont une beauté toute singulière. Pour ce qui est de leur usage, il ne se fait que trop connaître en toutes sortes de manières. Le pouce est séparé des autres et se présente le premier comme leur maître et leur conducteur, et comme celui qui a la principale part dans tous les ouvrages. Le nom qu'on lui a donné en latin est un nom qui marque sa force. Il n'a que deux jointures apparentes, au lieu que les autres doigts en ont trois. Mais il en a une cachée qui, l'unissant aux chairs de la main, fait une beauté particulière. S'il en avait eu trois, il aurait eu quelque chose d'indécent et de difforme. Parlons maintenant de l'estomac, qui, étant large et droit, forme un des plus beaux spectacles qui puisse être vu. Il semble qu'il n'y a que l'homme que Dieu a renversé de la sorte, et que les animaux ne se peuvent coucher sur le dos, mais seulement sur l'un des côtés, de sorte qu'ils soient toujours tournés vers la terre. C'est pour cela qu'ils ont l'estomac étroit et caché fous leurs jambes, au lieu que celui de l'homme est large et exposé à la vue. Il était à propos qu'il le fût, puisqu'il est le siège de la raison. Le tétin, qui est un peu apparent, et qui est comme couronné d'un fond un peu obscur, apporte quelque sorte de beauté. Il sert aux femmes à nourrir les enfants, et ne sert aux hommes que pour parer l'estomac, et pour empêcher qu'il ne paraisse nu et difforme. Le ventre est au-dessous et a dans son milieu le nombril, par où les enfants tirent leur nourriture pendant qu'ils sont enfermés dans le sein de leur mère.