XVII.
Il nous reste à dire encore quelque chose de la nature de l’âme, quoiqu’elle ne puisse être tout à fait connue. Nous ne devons point douter qu’elle ne soit immortelle, parce que ce qui ne peut être ni vu ni touché, et qui de soi-même est dans un mouvement perpétuel, doit toujours durer. Les philosophes ne conviennent point encore de sa nature, et n’en conviendront peut-être jamais. Quelques-uns ont dit que c’est du sang, d’autres que c’est du feu, d’autres que c’est du vent, et c’est ce qui est marqué par le nom d’ἄνεμος que les Grecs lui ont donné. Mais dans tous ces discours il n’y a pas la moindre apparence de vérité; car, bien que l’âme se retire quand le sang sort par une blessure ou qu’il s’épuise par l’ardeur d’une fièvre, il ne s’ensuit pas pour cela qu’elle soit du sang. La lumière dont nous nous servons pour dissiper l’obscurité de la nuit n’est pas de l’huile, bien qu’elle s’éteigne dès que l’huile est consumée. Il y a de la différence entre l’huile et la lumière, et l’une nourrit l’autre. L’âme a quelque chose de semblable à la lumière, et elle est nourrie et entretenue par le sang, comme la lumière l’est par l’huile. Ceux qui ont cru que l’âme était de la nature du feu, se sont servis de cet argument: que le corps conserve sa chaleur tant qu’il est animé, et qu’il la perd aussitôt qu’il meurt. Il y a cependant de notables différences entre le feu et l’âme; car le feu n’a point de sentiment; il peut être vu, et il brûle quand nous le touchons. L’âme au contraire a un sentiment très vif; elle ne peut être vue et ne nous brûle point: d’où il paraît qu’elle est quelque chose de semblable à Dieu. Ceux qui croient que l’âme n’est qu’un vent ou qu’un air agité se trompent, et leur erreur procède de ce qu’il semble que c’est la respiration qui nous fait vivre. Varron définit l’âme en ces termes: « L’âme est un air renfermé dans la bouche, rafraîchi dans le poumon, échauffé dans le cœur et répandu par tout le corps. » De toutes les parties qui composent cette définition, il n’y en a pas une seule qui soit véritable; car la nature de l’âme n’est pas inconnue jusqu’à ce point-là que nous ne puissions savoir ce qu’elle n’est pas. Si quelqu’un me disait que le del est de bronze ou de verre ou, comme Empédocle, qu’il est de glace, je ne demeurerais pas d’accord, bien que je ne sache de quelle matière il est composé. Si j’ignore de quelle matière est le ciel, au moins je sais qu’il n’est ni de bronze, ni de verre, ni de glace. De même sorte, j’ignore ce que c’est que l’âme mais je sais qu’elle n’est pas un air renfermé dans la bouche, parce que l’âme existe avant que la bouche puisse être remplie d’air. L’âme est répandue dans le corps au moment même où il est formé dans le ventre de la mère, et non au temps qu’il en sort et qu’il vient au monde comme quelques philosophes l’ont cru. Il est si certain que l’enfant est animé dès le temps qu’il est dans les entrailles de la mère, qu’il y croît de jour en jour, qu’il s’y remue et s’efforce d’en sortir. Quand il y meurt, l’avortement arrive infailliblement. Les autres parties de la définition de Varron semblent tendre à faire voir que pendant les neuf mois que nous avons passés dans le ventre de nos mères nous n’avons point eu de vie. Il n’y a donc pas une de ces trois opinions qui soit conforme à la vérité. Il faut pourtant avouer que ceux qui les ont soutenues ne se sont pas si fort trompés qu’ils n’aient rien avancé que de faux, puisqu’il est certain que le sang, la chaleur et l’air contribuent notablement à entretenir notre vie. L’âme ne demeure que dans un corps où ces choses se rencontrent. Mais en décrivant ces choses on ne fait pour cela le portrait de l’âme, parce qu’il n’est pas plus possible de la représenter que de la voir.