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De la colère de Dieu
XVIII.
La colère, disent quelques-uns, n'est point du tout nécessaire, puisqu'on peut sans elle châtier les crimes. Au contraire, je soutiens qu'il n'est pas possible de voir commettre des crimes sans en sentir quelque émotion. Il est vrai qu'un juge peut demeurer dans une situation tranquille, parce que le crime n'est pas commis en sa présence, mais qu'il lui est rapporté comme un fait douteux et qui a besoin d'être prouvé. Jamais le crime n'est si manifeste qu'il ne reste à l'accusé quelque moyen de se défendre. Ainsi, un juge peut alors avec raison ne concevoir aucun sentiment d'indignation contre un accusé, qui par l'événement sera peut-être trouvé innocent. Quand la vérité est établie et que l'accusé est convaincu, c'est la loi plutôt que le juge qui prononce, et par cette raison il peut satisfaire à son devoir sans être ému de colère. Il n'ordonne rien proprement de soi-même, il ne fait qu'exécuter ce que la rigueur de l'ordonnance lui a prescrit. Mais pour nous, nous ne saurions voir commettre des fautes dans nos maisons sans en sentir de l'indignation, la vue seule des fautes étant quelque chose d'indigne et de fâcheux. Celui qui verrait sans émotion commettre des crimes, paraîtrait ainsi les approuver, ce qui serait honteux et injuste, ou serait bien aise de se délivrer de la peine de les réprimer, pour conserver la tranquillité où demeure l'âme lorsqu'elle n'est point excitée par la colère. A l'égard de celui qui entre en colère et qui s'apaise à l'heure même, qui, par une douceur indiscrète et hors de saison, pardonne ou toujours ou trop souvent, il corrompt ceux dont il entretient l'insolence, et se prépare à soi-même un supplice qui n'aura point de fin. C'est donc un défaut de réprimer en soi les mouvements de la colère, lorsqu'on devrait les suivre pour punir les crimes des autres. On loue Archytas de Tarente d'avoir dit à son fermier qui avait laissé dépérir sa terre : « Malheureux que tu es! je te chargerais de coups si je n'étais en colère. » Plusieurs admirent dans cette parole et dans cette action un rare exemple de retenue. Mais la haute estime qu'ils avaient conçue de ce philosophe les empêche de reconnaître son extravagance. « Un homme sage, comme dit Platon, ne punit pas les coupables seulement à cause des crimes qu'ils ont commis, mais afin que ni eux ni les autres n'en commettent plus. » Quand des valets savent que leur maître punit lorsqu'il n'est pas en colère, et que lorsqu'il est en colère il pardonne, ils ne se contenteront pas de faire de légères fautes, de peur d'être battus, mais ils en feront de grandes, pour mettre leur maître dans une furieuse colère et pour éviter par là le châtiment. J'aurais loué la modération de ce philosophe s'il avait donné un peu de temps à sa colère pour s'apaiser et pour tempérer la rigueur du châtiment. La grandeur de la colère ne devait pas faire pardonner la faute, elle devait seulement en faire retarder la punition, de peur que, étant faite sur-le-champ, elle ne fût ou trop sévère par rapport au coupable, ou trop violente de la part du maître. De plus, la sagesse et l'équité permettent-elles de punir des fautes légères et de laisser en même temps des crimes atroces impunis? Enfin, pour peu que ce philosophe eût connu la nature des vertus ou des passions, il n'aurait jamais fait profession d'une si indiscrète modération, quand ce n'aurait été que pour ne point donner lieu à de mauvais serviteurs de se réjouir d'avoir mis leur maître en colère. Comme Dieu a donné au corps divers sens pour la nécessité de ses fonctions, il a donné à l'âme plusieurs affections pour la conduite des mœurs. Il lui a donné l'amour du plaisir pour mettre des enfants au monde, et l'émotion de la colère pour arrêter le cours des crimes. Ceux qui ne savent rien de la fin des choses, et qui n'ont point appris l'usage qu'ils doivent faire des dons de Dieu, abusent du plaisir en s'abandonnant à la débauche, et de la colère en procurant du mal à ceux de leurs supérieurs et de leurs égaux contre lesquels ils ont conçu de la haine. C’est de là que viennent les crimes les plus atroces et les tragédies les plus sanglantes. Archytas aurait mérité des louanges si, après s'être mis en colère contre quelqu'un de ses citoyens et de ses égaux de qui il aurait reçu quelque injure, il avait retenu son ressentiment et étouffé dans son cœur le désir de la vengeance. Il y a de la gloire à se vaincre de la sorte, et à détourner les maux que le débordement de la colère pourrait causer ; c'est une faute de dissimuler les fautes des enfants et des serviteurs ; et en négligeant de les châtier on leur donne lieu de devenir plus coupables. Alors, bien loin de modérer sa colère, il la faut exciter si elle est trop languissante. Nous ne disons rien ici de l'homme que nous ne le disions aussi de Dieu, qui a fait l'homme à son image. Je ne parle point de la figure de Dieu, parce que les stoïciens nient qu'il en ait aucune, et que si j'entreprenais de les réfuter je m'engagerais dans une dispute qui me fournirait une trop ample matière. Je ne parle que de sa substance spirituelle, qui est une substance qui pense, qui entend, qui connaît, qui sait, qui prévoit. Et puisque toutes ces choses conviennent à l'homme, il est clair qu'en cela il est l'image de Dieu. Il est vrai que cette image se salit et se corrompt, parce que, ayant quelque chose de l'impureté de la terre, elle ne peut conserver l'innocence qu'elle a reçue de son créateur, si ce n'est qu'il n'ait la bonté de l'instruire.
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A Treatise on the Anger of God
Chap. XVIII.--Of the Punishment of Faults, that It Cannot Take Place Without Anger.
What need is there, they say, of anger, since faults can be corrected without this affection? But there is no one who can calmly see any one committing an offence. This may perhaps be possible in him who presides over the laws, because the deed is not committed before his eyes, but it is brought before him as a doubtful matter from another quarter. Nor can any wickedness be so manifest, that there is no place for a defence; and therefore it is possible that a judge may not be moved against him who may possibly be found to be innocent; and when the detected crime shall have come to light, he now no longer uses his own opinion, but that of the laws. It may be granted that he does that which he does without anger; for he has that which he may follow. We, undoubtedly, when an offence is committed by our household at home, whether we see or perceive it, must be indignant; for the very sight of a sin is unbecoming. For he who is altogether unmoved either approves of faults, which is more disgraceful and unjust, or avoids the trouble of reproving them, which a tranquil spirit and a quiet mind despises and refuses, unless anger shall have aroused and incited it. But when any one is moved, and yet through unseasonable leniency grants pardon more frequently than is necessary, or at all times, he evidently both destroys the life of those whose audacity he is fostering for greater crimes, and furnishes himself with a perpetual source of annoyances. Therefore the restraining of one's anger in the case of sins is faulty.
Archytas of Tarentum is praised, who, when he had found everything ruined 1 on his estate, rebuking the fault of his bailiff, said, "Wretch, I would have beaten you to death if I had not been angry." They consider this to be a singular example of forbearance; but influenced by authority, they do not see how foolishly he spoke and acted. For if (as Plato says) no prudent man punishes because there is an offence, but to prevent the occurrence of an offence, it is evident how evil an example this wise man put forth. For if slaves shall perceive that their master uses violence when he is not angry, and abstains from violence 2 when he is angry, it is evident that they will not commit slight offences, lest they should be beaten; but will commit the greatest offences, that they may arouse the anger of the perverse man, and escape with impunity. But I should praise him if, when he was enraged, he had given space to his anger, that the excitement of his mind might calm down through the interval of time, and his chastisement might be confined within moderate limits. Therefore, on account of the magnitude of the anger, punishment ought not to have been inflicted, but to have been delayed, lest it should inflict 3 upon the offender pain greater than is just, or occasion an outburst of fury in the punisher. But how, how is it equitable or wise, that any one should be punished on account of a slight offence, and should be unpunished on account of a very great one? But if he had learned the nature and causes of things, he never would have professed so unsuitable a forbearance, that a wicked slave should rejoice that his master has been angry with him. For as God has furnished the human body with many and various senses which are necessary for the use of life, so also He has assigned to the soul various affections by which the course of life might be regulated; and as He has given desire for the sake of producing offspring, so has He given anger for the sake of restraining faults.
But they who are ignorant of the ends of good and evil things, as they employ sensual desire for the purposes of corruption and pleasure, in the same manner make use of anger and passion for the inflicting of injury, while they are angry with those whom they regard with hatred. Therefore they are angry even with those who commit no offence, even with their equals, or even with their superiors. Hence they daily rush to monstrous 4 deeds; hence tragedies often arise. Therefore Archytas would be deserving of praise, if, when he had been enraged against any citizen or equal who injured him, he had curbed himself, and by forbearance mitigated the impetuosity of his fury. This self-restraint is glorious, by which any great evil which impends is restrained; but it is a fault not to check the faults of slaves and children; for through their escaping without punishment they will proceed to greater evil. In this case anger is not to be restrained; but even if it is in a state of inactivity, 5 it must be aroused. But that which we say respecting man, we also say respecting God, who made man like to Himself. I omit making mention of the figure of God, because the Stoics say that God has no form, and another great subject will arise if we should wish to refute them. I only speak respecting the soul. If it belongs 6 to God to reflect, to be wise, to understand, to foresee. to excel, and of all animals man alone has these qualities, it follows that he was made after the likeness of God; but on this account he goes on to vice, because, being mingled with frailty derived from earth, he is unable to preserve pure and uncontaminated that which he has received from God, unless he is imbued with the precepts of justice by the same God.