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Œuvres Jérôme de Stridon (347-420) Traité sur les devoirs d'un traducteur des livres sacrés

8.

Je passe ici une infinité de choses sous silence ; mais pour vous faire voir, mon cher Pammaque, quelles sont les falsifications qu'on prétend que j'ai faites dans la traduction de la lettre de saint Epiphane, je vais en rapporter ici le commencement en grec, afin que par le procès que mes ennemis me font sur cet endroit vous puissiez juger des autres crimes dont ils me chargent : « edei e mas agapete me te oiesei tropoi kleron pherestai. » Je me souviens d'avoir ainsi traduit ces paroles : « L'honneur que nous avons, mon très cher, d'être élevés à la cléricature, ne devrait pas nous inspirer tant d'orgueil. » Que de faussetés dans une seule ligne! s'écrient mes accusateurs; car premièrement agapetos veut dire: cher, et non pas : très cher; de plus oiesis signifie : opinion, et non pas : orgueil, car il n’y a pas dans le texte oiemati , qui veut dire: enflure, mais oiesei, qui signifie : opinion, sentiment. Quant à ce qui suit: « l'honneur que nous avons d'être élevés à la cléricature, » et « inspirer l'orgueil, » tout cela est de l'invention du traducteur.

Que dites-vous, sublime génie, vous qui êtes aujourd'hui l'appui et l'ornement de la république des lettres, l'Aristarque1 de nos jours et l'arbitre des ouvrages de tous les savants? En vain donc ai-je fréquenté les écoles et employé tout mon temps à l'étude , puisque dès la sortie du port je vais me briser contre les écueils ? Mais enfin comme il est de la condition de l'homme d'être sujet à se tromper, et du devoir d'un homme sage d'avouer sa faute quand il s'est mécompté, ô vous , qui que vous soyez , qui me censurez avec tant de rigueur, faites-moi la grâce, je vous prie, de corriger ma traduction, et d'expliquer vous-même mot à mot les paroles que je viens de citer. Je devais, selon vous, les traduire ainsi : « Il ne fallait pas, mon cher, nous élever de la bonne opinion des clercs. » Voilà ce qui s'appelle parler comme les muses, et tourner les choses d'une manière digne de l'éloquence. de Plante et de l'élégance d'Athènes. On peut bien m'appliquer ici ce que dit le proverbe: « C'est perdre sa peine que de frotter un bœuf avec l'huile des athlètes. »

Au reste je ne m'en prends point à celui dont un autre a emprunté le nom pour jouer un si mauvais rôle. Je sais que Ruffin et Mélanie ont conduit toute cette intrigue : ils sont ses maîtres, et il leur en a coûté bien cher pour lui apprendre à ne rien savoir. Je ne blâme point un chrétien, quel qu'il puisse être, d'ignorer les délicatesses de la langue. Plût à Dieu que nous pussions nous appliquer ce que dit Socrate : «Je sais que je ne sais rien; » et mettre en pratique cette maxime d'un autre sage: « Connaissez-vous vous-même! » J'ai toujours eu une vénération particulière, non pas pour ceux qui à des manières grossières et impolies joignent une grande démangeaison de parler, mais pour ceux dont la simplicité est accompagnée de la sainteté de la vie. Que celui qui se vante d'imiter le style des apôtres commence d'abord par imiter leurs vertus. L'éclat de leur sainteté faisait excuser la simplicité de leur style, et en présence d'un mort qu'ils avaient ressuscité l'on voyait tomber les vains arguments d'Aristote et les plus subtils raisonnements de Chrysippe; mais il est ridicule de faire vanité d'une impolitesse affectée, tandis qu'à l'exemple d'un Crésus ou d'un Sardanapale, on passe toute sa vie dans l'abondance ou dans une molle oisiveté; comme si l'éloquence était le partage de la scélératesse, et que les voleurs eussent coutume de cacher leurs épées parmi les ouvrages des philosophes et non pas dans le tronc des arbres.

Je me suis un peu trop étendu dans cette lettre ; mais quelque longue qu'elle soit, elle n'égale point encore l'excès de ma douleur: on me traite de faussaire, et on me déchire cruellement dans les cercles pour divertir à mes dépens des femmes occupées à leurs ouvrages. Cependant content de me justifier des crimes dont mes ennemis me chargent, je n'ai point usé de récrimination envers eux. Je vous fais donc juge vous-même, mon cher Pammaque, de notre différend: prenez la peine de lire la lettre de saint Epiphane avec ma traduction, et vous verrez d'abord combien sont frivoles et outrageants les reproches que me font mes accusateurs. Au reste, il me suffit d'avoir instruit de cette affaire un ami qui m'est très cher, et je ne songe plus désormais qu'à demeurer caché dans le fond de ma retraite pour y attendre le jour du Seigneur. J'aimerais mieux, si cela se pouvait et si mes ennemis voulaient bien me laisser en repos, vous envoyer des commentaires sur l'Ecriture sainte que des déclamations et des invectives2 semblables à celles de Cicéron et de Démosthènes.


  1. Fameux critique qui a commenté les ouvrages d'Homère. ↩

  2. Telles que sont les discours de Cicéron contre Marc-Antoine,et de Démosthènes contre Philippe, roi de macédoine. ↩

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