2.
Mais il faut examiner si c’est le voile1 extérieur ou le voile intérieur qui se déchira à la mort du Sauveur. Pour moi, il me semble que c'est celui qui était dans le temple et à l'entrée du tabernacle, et qu'on appelait le voile extérieur; car « maintenant nous ne voyons et ne connaissons les choses que d'une manière très imparfaite; mais quand nous serons dans un état parfait,» alors le voile extérieur se déchirera, et nous verrons à découvert tous les mystères de la maison de Dieu qui nous sont maintenant cachés; et nous saurons ce que c'est que ces deux chérubins, cet oracle, et ce vase d'or dans lequel on avait renfermé la manne. « Nous ne voyons maintenant que comme en un miroir et en des énigmes. » Il est vrai que le voile qui nous cachait ce qu'il y a d'historique dans l'Ecriture sainte étant déchiré, nous pouvons entrer dans le parvis du tabernacle du Seigneur; mais néanmoins ses secrets et tous les mystères de la Jérusalem céleste sont toujours voilés pour nous, et nous ne saurions les pénétrer.
« La terre trembla » à la mort du Sauveur, et l’on vit alors l'accomplissement de ce que dit le prophète Aggée : « Encore un peu de temps, et j'ébranlerai le ciel et la terre, et le désiré de toutes les nations viendra ; » afin que plusieurs viennent d'Orient et d'Occident prendre place dans le royaume des cieux avec Abraham, Isaac et Jacob. « Les pierres se fendirent, » c'est-à-dire que la mort de Jésus-Christ toucha les gentils et rompit toute la dureté de leurs cœurs. Par ces « pierres », l'on peut encore entendre : les prophètes, qui aussi bien que les apôtres ont porté ce nom par rapport à Jésus-Christ, qui est la véritable « pierre ». Or ces pierres se sont« fendues,» afin que les gentils vissent à découvert toutes les prophéties que le voile épais de la loi leur cachait. Ces « sépulcres » dont Jésus-Christ a dit dans l'Evangile Vous êtes semblables à des sépulcres blanchis par dehors, mais qui au dedans sont pleins d'ossements de morts, « ces sépulcres, » dis-je, « s’ouvrirent » afin que ceux qui auparavant étaient morts dans leur infidélité, « sortant de leurs tombeaux, » et reprenant une nouvelle vie avec Jésus-Christ vivant et ressuscité, entrassent dans la Jérusalem céleste, pour être citoyens non plus de la terre, mais du ciel, et qu'en mourant avec l'homme terrestre ils « ressuscitassent avec l'homme céleste.
Au reste, pour revenir au sens littéral de ce passage, on ne doit point s'étonner de ce qu'après la mort du Sauveur on appelle Jérusalem «la ville sainte, » puisque, jusqu'à son entière ruine, les apôtres n'ont point fait difficulté d'entrer dans le temple, et, d'observer même les cérémonies de la loi, de peur de scandaliser ceux d'entre les Juifs qui avaient embrassé la foi de Jésus-Christ. Nous voyons même que le Sauveur aima tant cette ville que les malheurs dont elle était menacée lui tirèrent les larmes des yeux, et qu'étant attaché à la croix, il dit à son père : « Pardonnez-leur, mon père, car ils ne savent ce qu'ils font. » Aussi sa prière , fut- elle exaucée, puisque peu de temps après sa mort les Juifs crurent en lui par milliers, et que Dieu accorda à cette malheureuse ville quarante-deux ans pour faire pénitence. Mais enfin ses citoyens n'en ayant pas profité et persistant toujours dans leur malice, Vespasien et Tite, semblables à ces deux ours dont parle l'Écriture2, sortis du milieu des bois, ont tué et déchiré ces « enfants » qui blasphémaient et insultaient le véritable Elizée lorsqu'il «montait » à la maison de Dieu (car c'est ce que signifie Bethel en hébreu). Or, depuis ce temps-là Jérusalem n'a plus été appelée « la ville sainte ; mais ayant perdu avec sa sainteté le nom qu'elle portait autrefois, on l'a appelée dans un sens spirituel « Égypte » et « Sodome, » et à sa place l'on a bâti une nouvelle ville «qu'un fleuve réjouit par l'abondance de ses eaux, » et du milieu de laquelle sort une fontaine qui a corrigé l'amertume des eaux de toute la terre; de sorte que les malheureux Juifs, dépouillés de leur ancienne gloires sont réduits à gémir sur les ruines de leur temple, tandis que les chrétiens ont le plaisir de voir bâtir tous les jours de nouvelles églises, et qu'ils disent aux habitants de Sion : « Le lieu où je suis est trop étroit en quoi l'on voit l'accomplissement de ce que dit le prophète Isaïe : « Son sépulcre sera glorieux.»
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Le voile intérieur couvrait fâche d'alliance et séparait le Saint d'avec le Saint des saints. Num. 26, 33. Le voile extérieur était à l’entrée du tabernacle. Ibid. V. 36. ↩
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Saint Jérôme fait ici allusion à ce qui est écrit au chap. 2 du quatrième livre des Rois, qu'Elizée allant à Bethel, de petits enfants sortis de la ville se moquèrent de lui en disant: «Monte, chauve, monte, chauve;» et que ce prophète leur ayant donné sa malédiction, deux ours sortirent des bois et déchirèrent quarante-deux de ces enfants. ↩