Troisième question.
Dans quel sens doit-on entendre ces paroles de saint Mathieu: « Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à soi-même?» Qu'est-ce que«renoncer à soi-même?» ou comment celui qui suit le Sauveur renonce-t-il à lui-même?
Voici ce que j'ai déjà dit sur cela en peu de mots dans mes commentaires sur saint Mathieu. Renoncer à soi-même, c'est quitter le vieil homme avec ses oeuvres,c'est-à-dire: «Je vis, ou plutôt ce n'est plus moi qui vis, mais c'est Jésus-Christ qui vit en moi;» c'est porter sa croix, et être mort et crucifié au monde. Suivre Jésus-Christ crucifié, c'est regarder le monde comme mort et crucifié pour soi.
Voici maintenant ce que nous pouvons ajouter à cette explication. «Le Sauveur ayant dit à ses disciples qu'il fallait qu'il allât à Jérusalem, qu'il y souffrît beaucoup de la part des sénateurs, des docteurs de la loi et des princes des prêtres, et qu'il y fût mis à mort, Pierre, le prenant à part, commença à le reprendre en lui disant: « A Dieu ne plaise, Seigneur! cela ne vous arrivera point;» mais Jésus se retournant lui dit: «Retirez-vous de moi, Satan; vous m'êtes un sujet de scandale, parce que vous n'avez point de goût pour les choses de Dieu, mais pour les choses de la terre. » En effet, ce n'était que par une crainte toute humaine que saint. Pierre appréhendait de voir souffrir Jésus-Christ. S'il avait craint pour son divin maître lorsqu'il lui dit qu'il aurait beaucoup à souffrir et qu'il devait être mis à mort, il devait aussi se réjouir lorsqu'il lui entendit dire qu'il ressusciterait le troisième jour, et la gloire de la résurrection du Sauveur devait adoucir le chagrin qu'il avait de sa Passion et de sa mort.
Jésus-Christ, ayant donc fait à saint Pierre une rude réprimande de ce qu'il craignait si fort pour lui, dit à tous ses disciples, ou, comme le rapporte saint Marc, il appela à lui le peuple avec ses disciples, ou, selon saint Luc, il dit à tous: « Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à lui-même, qu'il se charge de sa croix et qu'il me suive.» C'est-à-dire : Quiconque veut prendre le parti de Dieu ne doit point s'attendre à mener une vie douce et tranquille. Celui qui croit en moi doit répandre son sang; car c'est conserver sa vie pour l'autre monde que de la perdre en celui-ci. L'emploi d'une âme fidèle qui croit en Jésus-Christ est de porter tous les jours sa croix et de renoncer à soi-même: un impudique qui embrasse la chasteté renonce par la continence à ses dissolutions et à ses débauches; une âme lâche et timide ne se reconnaît plus dès qu'elle vient à prendre des sentiments nobles et généreux; un homme injuste renonce à ses injustices lorsqu'il suit les règles que la justice lui prescrit; un insensé renonce à sa folie s'il confesse Jésus-Christ, qui est la vertu et la sagesse de Dieu.
Pénétrés donc de ces importantes vérités , renonçons à nous-mêmes, non-seulement dans le temps de la persécution et lorsqu'il s'agit de souffrir le martyre, mais encore dans toute notre conduite, dans toutes nos actions, dans toutes nos pensées , dans tous nos discours; renonçons à tout ce que nous avons été autrefois, et Lisons voir que nous avons reçu en Jésus-Christ une nouvelle naissance. Carle Seigneur a été crucifié afin que, croyant en lui et étant morts au péché, nous nous crucifiions aussi avec lui et que nous disions comme l’Apôtre: « Je suis crucifié avec Jésus-Christ; »et derechef : « Mais pour moi, à Dieu ne plaise que je me glorifie en autre chose qu'en la croix de notre seigneur Jésus-Christ, par qui le monde est mort et crucifié pour moi, comme je suis mort et crucifié pour le monde! » Il faut que celui qui est crucifié avec Jésus-Christ « désarme les principautés et les puissances, et triomphe d'elles sur la croix. » C'est pourquoi nous lisons dans l'Evangile de saint Mathieu que Simon le Cyrénéen porte la croix du Sauveur, qui, selon les autres évangélistes, l’avait portée le premier; en quoi cet homme était une figure de ceux qui devaient croire en Jésus-Christ et se crucifier avec lui.