3.
Saint Paul donne encore le nom de « loi », à quelques endroits de l'Écriture qui ne renferment aucun commandement et qui ne regardent que des faits purement historiques. « Dites-moi, je vous prie, » dit cet apôtre, « vous qui voulez être sous la loi, n'entendez-vous point ce que dit la loi ? Car il est écrit qu'Abraham a eu deux fils, l'un de la servante et l'autre de la femme libre; mais celui qui naquit de la servante naquit selon la chair, et celui qui naquit de la femme libre naquit en vertu de la promesse de Dieu. » On appelle encore les Psaumes du nom de «loi, » selon ce que Jésus-Christ dit dans l’Évangile : « Afin que la parole qui est écrite dans leur loi soit accomplie, ils m'ont haï sans aucun sujet. » La prophétie d'Isaïe porte aussi le nom de loi : « Il est écrit dans la loi, » dit l'Apôtre: « Je parlerai à ce peuple en des langues étrangères et inconnues, et après cela même ils ne m'entendront point, dit le Seigneur. » C'est ce que j'ai trouvé dans le prophète Isaïe selon le texte hébreu et la version d'Aquila. On donne encore le nom de « loi » au sens mystique de l'Écriture sainte , conformément à ce que dit saint Paul : « Nous savons que la loi est spirituelle. »
Outre toutes ces lois, le même apôtre nous apprend qu'il y a une loi naturelle écrite dans nos cœurs. « Lors, » dit-il, « que les gentils, qui n'ont point la loi, font naturellement les choses que la loi commande, n'ayant point la loi ils se tiennent à eux-mêmes lieu de loi, faisant voir que ce qui est prescrit par la loi est écrit dans leur coeur, comme leur conscience en rend témoignage. » Cette loi que nous portons écrite dans le coeur est commune à toutes les nations ; personne ne l'ignore. Ainsi tous les hommes se rendent coupables lorsqu'ils transgressent cette loi que Dieu, dont les jugements sont toujours justes et équitables, a écrite dans nos coeurs : «Ne faites pas à autrui ce que vous ne voulez pas qu'on vous fasse à vous-même. »
Où est l'homme qui ignore que l'homicide, l'adultère, le vol et toutes sortes de convoitises sont un mal, dès qu'il les envisage par rapport à lui-même et à ses propres intérêts ? Car s'il n'était persuadé que toutes ces injustices sont un mal, il ne se plaindrait pas lorsqu'on les commet à son endroit. C'est cette loi naturelle qui découvrait à Caïn toute l'énormité de son crime lorsqu'il disait : « Mon iniquité est trop grande pour que je puisse en obtenir le pardon; » c'est elle qui fit connaître à Adam et à Eve la grandeur de leur péché, et qui les obligea à se cacher sous l'arbre de vie; c'est elle qui, avant même la loi de Moïse , tourmenta Pharaon par de secrets remords, et arracha de sa bouche cet aveu de son orgueil et de sa désobéissance : « Le Seigneur est ,juste, et moi et mon peuple nous sommes des impies. » Cette loi est inconnue à un enfant qui n'a pas encore l'usage de la raison, et comme il ne tonnait point de commandement, il le transgresse aussi sans crime : il bat ses parents, il maudit son père et sa mère. Comme il ne sait point encore les règles de la sagesse, le péché est mort en lui. Mais dès qu'il viendra à connaître la loi, et que la raison plus avancée lui aura fait voir et le bien qu'il doit faire et le mal qu'il doit éviter, alors le péché ressuscitera, et cet enfant commencera à mourir par le péché dont il se rendra coupable. Ainsi l'époque, où la raison commence à se développer et à nous faire connaître les commandements de Dieu pour arriver à la vie devient pour nous un principe de mort, si nous nous acquittons de nos devoirs avec négligence et si ce qui devait nous instruire et nous éclairer ne sert qu'à nous séduire,
à nous perdre et à nous conduire à la mort. Ce n'est pas que la connaissance que nous avons de la loi soit un péché, car cette loi que nous connaissons est sainte, elle est juste, elle est bonne; mais c'est que les actions qui, avant la connaissance de la loi; ne nie paraissaient pas criminelles, deviennent pour moi des crimes par la connaissance que la loi nie donne de ce qui est péché et de ce qui est vertu. Ainsi, ce qui m'avait été donné comme un bien se change en mal par la corruption et le dérèglement de mon propre coeur; ou, pour m'exprimer d'une manière encore plus forte, le péché que je commettais sans crime avant que j'eusse la connaissance de la loi devient, par la transgression de cette même loi, une source plus abondante de péché.