7.
Revenons à notre sujet. Comme donc les apôtres avaient besoin que le Sauveur leur lavât les pieds , de même Isaïe, dont les lèvres étaient souillées, avait besoin qu'on les lui purifiât. Pour moi, il me semble que ce prophète n'avait les lèvres souillées que parce qu'il n'avait pas eu, comme Elie, assez de zèle pour reprendre Ozias, et pour s'opposer aux desseins de ce prince impie qui voulait usurper les fonctions sacrées des ministres du Seigneur.
«J'habite au milieu d'un peuple qui a aussi les lèvres souillées. » Isaïe, pénétré de douleur et sensible à la misère, mérite d'être purifié de ses souillures; mais le peuple qui, bien loin de faire pénitence de ses péchés, ignore même que ses lèvres sont impures, se rend indigne d'une pareille grâce. Belle instruction pour nous: elle nous apprend non-seulement à nous conserver dans la justice, mais aussi à nous éloigner de la compagnie des pécheurs, puisque, selon ce prophète, c'est en quelque façon s'engager dans le péché et dans la misère que d'avoir liaison et commerce avec eux.
« Et j'ai vu de mes propres yeux le roi, le seigneur des armées. » Les Juifs disent que leurs pères firent mourir Isaïe parce que, Moïse n'ayant vu le Seigneur que par-derrière, et nul homme, selon le témoignage de Dieu même, ne le pouvant voir sans mourir, ce prophète néanmoins se vantait de l'avoir vu des yeux du corps. Que si nous leur demandons comment Dieu, qui ne se faisait voir aux autres prophètes qu'en songe et durant le sommeil, a néanmoins parlé à Moïse face-à-face; et comment il se peut faire qu'il lui ait parlé de la série puisqu'il dit lui-même : « Nul homme ne me verra sans mourir, » ils ne manqueront pas de nous répondre que Dieu s'est fait voir, non pas tel qu'il est, mais sous une forme proportionnée à la faiblesse humaine; mais nous leur dirons que c'est aussi de la sorte qu'Isaïe a vu le Seigneur. Car enfin, ou Moïse a vu Dieu, ou il ne l'a pas vu : s'il l'a vu, Isaïe l'a vu aussi puisqu'il nous en assure lui-même; et puisqu'on peut voir Dieu, les Juifs n'ont pu sans impiété faire mourir ce prophète; que si Moïse ne l'a point vu, ils devaient donc le faire mourir et le regarder, aussi bien qu'Isaïe, comme un imposteur qui se vantait d'avoir vu celui qu'on ne peut voir. Tout ce qu'ils nous diront de la manière dont Moïse a vu le Seigneur, nous pouvons aussi le dire d'Isaïe.
« En même temps, continue ce prophète, l'un des séraphins vola vers moi, tenant en sa main un charbon de feu qu'il avait pris avec des pincettes de dessus l'autel, et m'en ayant touché la bouche, il me dit : « Ce charbon a touché vos lèvres : votre iniquité sera effacée et vous serez purifié de votre péché. » L'on peut expliquer cet endroit selon les différents sens que j'ai rapportés ci-dessus, c'est-à-dire: ou de l'un et de l'autre Testament, ou des Vertus célestes, ou enfin le regarder comme une image de la captivité du peuple juif; mais tenons-nous-en à notre première explication, et disons que le séraphin qui «vole vers le prophète» est une figure du Nouveau-Testament, qui, renfermant les commandements de l'ancienne et de la nouvelle alliance, et prenant pour ainsi dire « avec les pincettes » de l'une et de l'autre loi « le charbon ardent» de la parole de Dieu, touche nos lèvres et les purifie de leurs souillures, en dissipant toutes nos ténèbres par les lumières de la vérité. Les« pincettes» nous sont encore représentées par l'échelle que Jacob vit en songe, par l'épée à deux tranchants dont saint Jean parle dans son Apocalypse, par les deux petites pièces de monnaie que la femme de l’Evangile mit dans le tronc du temple, et par la pièce d'argent valant quatre drachmes qui fut trouvée dans la bouche d'un poisson, et donnée pour la capitation du Sauveur et de saint Pierre. Le séraphin prend avec ces « pincettes, » dont les deux branches sont étroitement unies ensemble, le « charbon » avec lequel il va purifier les lèvres d'Isaïe : c'est de ce « charbon » que parle le prophète-roi dans le psaume cent dix-neuvième : « Seigneur,» dit-il, « délivrez mon âme des lèvres injustes et de la langue trompeuse. Que recevrez-vous et quel fruit reviendra-t-il de votre langue trompeuse? Elle est de même que des flèches très pointues poussées par une main puissante avec des charbons dévorants. » En effet, la parole de Dieu est un « charbon dévorant » qui purifie notre langue des souillures du péché, selon cette parole d'Isaïe : « Vous avez des charbons de feu : asseyez-vous dessus, et ils vous soulageront dans vos besoins. » Poursuivons.