13.
Voilà ce que j'avais à dire des Juifs et des gentils par rapport à notre parabole. Voyons maintenant comment on en peut faire l’application aux justes et aux pécheurs. Quant aux justes, on rie peut douter qu'elle rie leur convienne parfaitement. Toute la difficulté est de comprendre comment il se peut faire qu'un homme juste soit jaloux de la conversion et du salut du pécheur, et que, possédé par l'envie, cette cruelle et injuste passion, il ne se laisse ni toucher par la misère de son frère, ni fléchir par les prières de son père, ni gagner par la joie que fait paraître toute la famille.
A cela je réponds en peu de mots que l’homme, quelque juste qu'il sait , ne paraît point juste dès qu'on le compare à Dieu; car, comme Sodôme, selon un prophète, est justifiée par les péchés de Jérusalem; c'est-à-dire qu'elle est, non pas juste, mais moins criminelle que Jérusalem, de même toute la justice des hommes, lorsqu'on la compare avec celle de Dieu, n'est plus une véritable justice. De là vient que saint Paul, après avoir dit : « Tous tant que nous sommes de parfaits, restons dans ce sentiment dont je vous ai parlé, » fait voir ailleurs combien nous sommes éloignés de la perfection, en disant : « O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu! Que ses jugements sont impénétrables et ses voies incompréhensibles ! » et dans un autre endroit: « Ce que nous avons maintenant de science et de prophétie est très imparfait; » et en outre: « Nous ne voyons maintenant que comme dans un miroir et dans des énigmes; » et dans son épître aux Romains : « Malheureux homme que je suis ! qui me délivrera de ce corps mortel ?
Tout cela fait voir que la perfection de la justice ne convient qu'à Dieu seul, qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, répand la pluie du soir et du matin. sans avoir égard aux mérites des hommes, invite aux noces tous ceux qu'il rencontre dans les rues et les places publiques, chasse de la salle ceux gui s'attendaient à avoir part au festin, va chercher le pécheur pénitent, comme le pasteur fait pour une brebis égarée qui ne peut revenir d'elle-même, et après l'avoir retrouvée la rapporte sur ses épaules, parce qu'elle s'était fatiguée à courir dans des chemins écartés.
Mais pour nous convaincre que les saints même sont susceptibles d'envie, et qu'il n'y a que Dieu seul dont la bonté soit parfaite et la charité pure et désintéressée, nous n’avons qu'à jeter les yeux sur les enfants de Zébédée. Leur mère, poussée par un tète indiscret que lui inspirait sa tendresse, ayant demandé pour eux à Jésus-Christ un rang trop élevé et des distinctions trop honorables, les dix autres apôtres en conçurent de l’indignation; et Jésus, les ayant appelés à lui, leur dit : « Vous savez que les princes des nations les dominent, et que ceux qui sont grands parmi eux les traitent avec empire : il n'en doit point être de même parmi vous autres; mais que celui qui voudra devenir plus grand parmi vous soit votre serviteur, et que celui qui voudra être le premier d'entre vous soit votre esclave, parce que le fils de l'homme n'est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie pour la rédemption de plusieurs. » Au reste, on ne doit pas croire qu'il y ait de l'impiété et de la témérité à dire que les apôtres ont été susceptibles de jalousie, puisque les anges même ont leurs défauts, suivant l'expression de Job: « Les astres ne sont point purs aux yeux de Dieu, et il a trouvé du dérèglement jusque dans ses anges. » Le roi-prophète dit aussi : « Nul vivant ne sera trouvé juste devant vous. » Il ne dit pas « nul homme, » mais « nul vivant ne sera trouvé juste devant vous; » c'est-à-dire ni évangéliste , ni apôtre, ni prophète; disons plus, ni Anges, ni Trônes, ni Dominations, ni Puissances, ni aucunes des Vertus célestes. Dieu seul est exempt de péché, mais toutes les autres créatures qui ont la raison et la liberté en partage (car c'est en cela que l'homme à été créé à l'image et à la ressemblance du Créateur) peuvent également se porter et au bien et au mal.