Chapitre XXXVII.
Quelque temps après la mort du prince dont je viens de parler, un autre frère du roi, nommé David (Tavith), mourut aussi. Il était ischkhan des ischkhans d'Arménie. C'était un homme d'une grande modération et dune grande équité dans tous les jugements ; il se distinguait par ses bons conseils et se rendait extrêmement utile au roi. A sa mort, le roi accablé par cet affreux malheur, semblait être plongé dans le ténébreux abîme d'une douleur perpétuelle. J'employai tous mes efforts pour le consoler, en lui faisant voir que par sa chute David s'élevait à l'espoir d'une vie immortelle, puisque, de son vivant, il était orné de toutes les qualités vraiment royales qui lui avaient mérité la bienveillance de Dieu et celle de son pasteur.
Cependant l'osdigan Youssouf fit servir toute sa méchanceté à rompre avec le roi Sempad, qui mettait une extrême prudence dans chacune de ses actions. Il employait tous ses efforts et la ruse pour pousser ce prince à se révolter ou à se mettre en opposition avec lui, comme il l'avait déjà fait autrefois avec son frère l'osdigan Afschin. En conséquence, il demanda à l'amirabied que Sempad reçût l'ordre de se rendre auprès de lui. Mais celui-ci n'obéit pas à cet ordre, et ne le jugea pas digne de la moindre attention. Youssouf transporté de colère, et agité d'une violente fureur, rassembla aussitôt une grande quantité de troupes. Il se mit en marche, s'avança et alla directement à la ville de Phaïdagaran ; de là il se porta avec rapidité dans la province d'Oudie et poussa jusqu'à Daschradap'h. Le roi l'ayant appris donna rendez-vous dans le même endroit à beaucoup de troupes ; puis il s'empara de tous les passages, de toutes les gorges ou défilés des provinces d'Aschots (Aschouets) et de Daschir, ne laissant à l'ennemi aucun moyen de passer. Quand l'osdigan Youssouf vit cela, il s'avança secrètement en tournant les montagnes par l'occident ; et après avoir toujours suivi les vallées basses, il tomba, par ce côté, sur la province de Schirag. Il fit cette opération à la faveur de l'obscurité du soir, et ensuite, sans perte de temps, il se dirigea sur la ville de Tovin. Cependant le roi croyait marcher contre Youssouf en manœuvrant à l'occident des montagnes, tandis qu'il ne faisait que le suivre. Il ne put parvenir à l'atteindre ; alors il fit la revue de ses troupes et s'arrêta dans le grand bourg d'Aroudj, au pied du mont Aragadz. Lorsque l'osdigan Youssouf sut qu'il était près du roi, il lui envoya, par l'un de ses secrétaires les plus distingués, Syrien de nation et chrétien de religion, des lettres remplies de protestations d'estime, d'amitié et de bienveillance, dans lesquelles il lui promettait de très grands honneurs et sa suprême protection, en même temps qu'il tranquillisait son es prit par des serments qui devaient faire cesser toutes ses appréhensions et tous ses embarras. Il l'engageait à suivre sa volonté royale, à abandonner toute crainte, toute défiance, et à se montrer facile, pour conclure avec lui un traité de paix et d'alliance. Quand le roi eut entendu les paroles douces, amicales et conciliantes de ces lettres, il en fut très satisfait ; il répondit verbalement au secrétaire d'une manière très affectueuse, et, par écrit, aux lettres de l'osdigan, en faisant à celui-ci de grandes protestations d'amitié. Cette correspondance fut suivie d'une alliance que l'on scella, de part et d'autre, par de mutuels serments. Après quoi le roi se mit en marche vers une colline du pays d'Éraskhadsor, sur le sommet de laquelle se trouve le bourg de Nakhdjradsouer, où il passa l'hiver, parce que l'osdigan, en revenant du nord, allait s'établir à Tovin pendant le temps des froids. La saison des glaces fut extrêmement rude ; et pendant quelle dura, on resta, des deux côtés, dans les rapports de la meilleure intelligence et de la plus grande amitié ; rien enfin ne troubla l’harmonie entre Sempad et Youssouf.
