1.
Pourquoi. Jésus-Christ tire-t-il ces aveugles du milieu du peuple d’où ils criaient, sinon pour nous apprendre encore avec quel soin nous devons fuir la gloire des hommes? Comme la maison était proche, il les y conduit pour les guérir plus en secret. Et ce désir d’être caché dans cette action paraît en ce qu’il défend à ces aveugles de ne parler de ce miracle à personne. Mais certes ces deux aveugles sont le sujet d’un grand reproche aux Juifs. Le seul bruit des miracles de Jésus-Christ les fait croire en Celui qu’ils ne pouvaient voir; et les Juifs, qui voyaient tous les jours de leurs propres yeux tant de miracles de Jésus-Christ, font le contraire de ces aveugles.
Jugez de l’ardeur de leur foi, et par les cris qu’ils poussent, et par la demande qu’ils font. Car ils ne s’approchèrent pas froidement de Jésus-Christ, mais en criant beaucoup, et demandant seulement miséricorde: « ayez pitié de nous. » Ils l’appelèrent « Fils de David, » parce que ce nom paraissait alors glorieux: et lorsque les prophètes mêmes voulaient parler d’un roi avec honneur, ils l’appelaient fils de David. « Et lorsqu’il fut entré dans la maison ces aveugles s’approchèrent de lui, et Jésus leur dit: Croyez-vous que je puisse faire ce que vous me demandez? Ils lui répondirent: « Oui, Seigneur (28). » Ainsi lorsque les aveugles venus avec lui sont arrivés dans la maison, .Jésus-Christ leur fait encore une seconde demande: «Croyez-vous, » leur dit-il, «que je puisse faire ce que vous me demandez? » Il s’étudiait partout à ne guérir que ceux qui l’en priaient, de peur qu’on ne crût qu’il cherchât sa gloire dans ces miracles, et qu’il les lit par vanité; outre qu’il voulait montrer encore que ces hommes étaient dignes de cette grâce, pour prévenir l’accusation de quelques impies qui eussent pu dire : s’il ne sauve et guérit les hommes que par miséricorde, pourquoi ne les sauve-t-il pas tous? Car la miséricorde que Dieu témoigne pour les hommes, a sans doute quelque rapport à la foi de ceux qu’il sauve.
Il avait encore une raison particulière pour exiger la foi de ces aveugles. Comme ils l’appelaient « Fils de David,» il voulait les élever plus haut, et leur faire avoir des sentiments plus dignes de lui. C’est pourquoi il leur dit: « Croyez-vous que je puisse faire ce que vous me demandez? » il ne dit pas : croyez-vous que je puisse par mes prières obtenir ce miracle de mon Père; mais « que je puisse, moi, faire ce que vous demandez? » Que répondent ces aveugles? « Oui, Seigneur. » Ils ne l’appellent plus de Fils de David; » mais élevant leur foi plus haut ils reconnaissent la souveraine puissance de Celui à qui ils parlent. (259)
« Alors il leur toucha les yeux en disant qu’il vous soit fait selon votre foi ! Et aussitôt leurs yeux furent ouverts (29). » Jésus-Christ alors étend sa main sur eux pour les guérir, et leur dit: « Qu’il vous soit fait selon votre foi. » Le Fils de Dieu fait trois choses par ces paroles. Il affermit la foi de ces aveugles, il montre que leur volonté avait eu aussi quelque part à leur guérison, et il tait voir que la manière dont il leur avait parlé, ne pouvait être suspecte de flatterie. Car il ne leur dit pas: que vos yeux soient ouverts; mais: « qu’il vous soit fait selon votre foi. » C’était ce qu’il observait presque envers tous ceux qu’il guérissait, voulant que tout le monde reconnût quelle était la foi de leur âme, avant que d’être témoin de la guérison de leur corps; pour rendre en même temps ceux qui étaient guéris encore plus fervents dans la foi, et les autres qui les voyaient plus disposés à la recevoir.
Ce fut ainsi qu’avant que de guérir le paralytique, il guérit son âme par ces paroles: « Mon fils, ayez confiance, vos péchés vous « sont remis; » qu’ayant ressuscité la jeune fille, il demeura là, et commanda qu’on lui apportât à manger, afin qu’elle connût Celui qui l’avait ressuscitée; qu’il fit voir, dans la guérison du serviteur du centenier, que c’était la foi avec laquelle le centenier la lui avait demandée, qui avait tout fait; et qu’avant que de délivrer ses disciples de la tempête, il les délivra auparavant de leur manqué de foi. II fait donc encore ici la même chose. Quoiqu’il sût parfaitement le fond du cœur de ces deux aveugles, il les interroge néanmoins devant tout le monde, pour exciter les autres par leur exemple, et pour faire connaître leur vive foi, c’est-à-dire la cause secrète de leur guérison. Après les avoir guéris il leur défend aussitôt d’en rien dire à personne, et par un commandement qu’il accompagne de beaucoup de sévérité.
« Jésus leur dit avec des paroles fortes et pressantes: Prenez bien garde que personne ne le sache (30). Mais eux s’en étant allés répandirent sa réputation dans tout ce pays-là (3l). » Ils ne purent donc se retenir, ils se firent prédicateurs et évangélistes, et malgré l’ordre formel qu’ils avaient reçu de tenir caché ce qui leur était arrivé, ils ne purent résister au désir de le répandra. Nous voyons dans l’Evangile que le Sauveur a dit à un autre malade qu’il guérit: «Allez et racontez la gloire de Dieu. » Mais cette parole, bien loin d’être contraire à ce que nous voyons ici, s’y accorde parfaitement. Jésus-Christ nous apprend d’une part à cacher toujours ce qui nous peut être avantageux, et à ne pas même souffrir que d’autres nous louent. Mais lorsque toute la gloire d’une action retourne à Dieu seul, non-seulement il ne nous empêche point mais il nous commande même de faire en sorte qu’on le loue.
« Et lorsqu’ils furent sortis, voici qu’on lui présenta un homme muet, possédé du démon (32). » L’infirmité de cet homme n’était point un effet de la nature, mais de la seule malice du démons C’est pourquoi il fallait qu’il fût amené à Jésus-Christ par d’autres, puisqu’étant muet il ne le pouvait prier par lui-même, ni- prier les autres de l’y mener, parce que son âme était liée par le démon aussi bien que sa langue. Jésus-Christ donc, sans exiger de lui la foi, le guérit aussitôt.
« Et le démon ayant été chassé, le muet parla, et tout le peuple en fut dans l’admiration, et ils disaient: on n’a jamais vu rien de semblable en Israël (33). » Ces paroles perçaient les pharisiens parce que le peuple témoignait publiquement préférer Jésus-Christ à tout, et l’estimer incomparablement plus que ceux qui non-seulement étaient dans la Judée, mais qui y furent jamais; non-seulement parce qu’il guérissait les malades, mais parce qu’il les guérissait en un moment, et avec une facilité admirable, quoique leurs maladies fussent inconnues et incurables à tout le reste des hommes. Mais pendant que le peuple est dans une disposition si raisonnable, les pharisiens entrent dans des sentiments bien différents; et ne se contentant pas de calomnier ces miracles de Jésus-Christ, ils ne rougissent point de se couper dans leurs propres paroles et de se combattre eux-mêmes. C’est ce qui arrive d’ordinaire à la méchanceté envieuse.