2.
Nous voyons que Nathanaël dit aussi à Jésus-Christ : « Maître, vous êtes le Fils de Dieu, vous êtes le roi d’Israël (Jean, s, 48); » et Jésus-Christ cependant est si éloigné de l’appeler « heureux » , qu’il le reprend au contraire comme ayant des sentiments trop bas de lui : car il lui dit aussitôt : « Vous croyez parce que je vous ai dit que je vous ai vu sous le figuier. Vous verrez d’autres choses bien plus grandes. » Jésus-Christ donc appelle ici saint Pierre « heureux » ; parce qu’il a confessé qu’il était le Fils de Dieu de cette manière excellente qui lui est particulière; et il lui rend ce témoignage qu’il n’avait rendu à nul autre : « Ce n’est point la chair et le sang qui vous a révélé ceci, mais mon Père qui est dans le ciel. »
Il semble que par ces paroles il veuille nous empêcher de croire que, parce que saint Pierre l’aimait ardemment, il voulait flatter son Maître en lui parlant par le mouvement d’une amitié humaine, et d’une complaisance secrète. Il fait voir publiquement quel était celui qui lui avait inspiré cette pensée, et il nous apprend que c’était Pierre qui parlait, mais que c’était le Père éternel qui lui mettait les paroles dans la bouche; afin que nous reconnussions qu’il ne lui accordait pas une louange humaine par cette confession, mais qu’il proférait au dehors ce qu’il avait appris de Dieu même.
Pourquoi Jésus-Christ ne leur dit-il pas lui-même clairement qu’il est le Christ? Pourquoi aime-t-il mieux donner lieu aux autres de reconnaître ce qu’il est, par les demandes qu’il leur fait? C’est sans doute parce qu’il lui était plus séant d’agir de la sorte, et que cette conduite était plus propre à attirer ses apôtres à la foi, et à leur persuader qu’il était égal à son Père? Et n’admirez-vous point ici, mes frères, comment le Père révèle son Fils, et comment le Fils révèle réciproquement son Père? Car Jésus-Christ dit lui-même que « personne ne connaît le Père que le Fils, et celui à qui le Fils le veut révéler. » Il est donc impossible de connaître autrement le Fils que par le Père, ou de connaître le Père que par le Fils : ce qui est encore une preuve manifeste de l’égalité de leur gloire, et nous montre qu’ils sont d’une même substance.
Après que saint Pierre eut rendu ce témoignage au Sauveur, Jésus-Christ lui dit aussitôt «Vous êtes Simon, fils de Jean, vous (420) serez appelé Pierre. » Comme vous avez nommé mon Père, je nomme aussi le vôtre; et comme vous êtes véritablement « fils de Jean, » je suis de même véritablement Fils de Dieu le Père. Sans ce sens mystérieux on pourrait croire qu’il aurait été superflu de dire: « Vous êtes le fils de Jean. » Mais comme saint Pierre venait de dire, « vous êtes le Fils de Dieu, » Jésus-Christ ajoute aussitôt ces paroles pour nous faire voir qu’il était aussi véritablement le Fils de Dieu, que Simon était « fils de Jean, » c’est-à-dire, qu’il était d’une même substance avec son Père.
« Et moi aussi je vous dis que vous êtes Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle (18). Sur cette pierre, »dit Jésus-Christ; « je bâtirai mon Eglise, »c’est-à-dire, sur cette foi et sur cette confession. Il montre par ces paroles que beaucoup de monde devait croire un jour en lui. Il relève l’esprit et les pensées de cet apôtre, et il l’établit le pasteur de son Eglise : « Et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle. » S’il est vrai que ces portes ne vaincront point mon Eglise, combien moins pourront-elles me vaincre et je vous dis ceci, mon apôtre, afin que vous ne soyez point troublé, lorsque vous entendrez dire bientôt que je serai livré pour être crucifié. A cet honneur il en ajoute encore un autre: « Et je vous donnerai les clefs du royaume des cieux; et tout ce que vous lierez sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel (1 9).»
Que veulent dire ces paroles: « Je vous donnerai? » Comme mon Père vous a donné la grâce de me connaître, « je vous donnerai » aussi ces clefs. Il ne dit point : Je prierai mon Père qu’il vous les donne, quoique la grandeur de ce don fût ineffable, et qu’il fallût être Dieu pour le faire; mais il dit: « Je vous donnerai. » Quel est ce don qu’il lui fait:
« Je vous donnerai », dit-il, « les clefs du royaume des cieux; et tout ce que vous lierez sur la terre sera lié dans les cieux, et ce que vous délierez sur la terre sera aussi délié dans le ciel. »
Comment pouvons-nous expliquer que celui qui dit: « Je vous donnerai, » témoigne ailleurs que ce « n’est pas à lui de donner à personne le droit de s’asseoir à sa droite ou à sa gauche? » Considérez comment il porte cet apôtre à avoir des sentiments dignes de sa divinité; comment il se découvre à lui, et lui déclare qu’il est le Fils de Dieu par ces deux promesses qu’il lui fait. Car il lui promet deux choses qui ne peuvent être le don que d’un Dieu, l’une de remettre les péchés, et l’autre de rendre son Eglise immobile au milieu des assauts de tant d’orages, et de faire voir dans un simple pêcheur une fermeté plus solide que n’est celle de la « pierre », lorsque tout le monde se soulèverait contre lui, et lui déclarerait une guerre ouverte.
Jésus-Christ traite ici saint Pierre comme son Père avait traité Jérémie, lorsqu’il lui dit:
« Qu’il le rendrait comme une colonne de fer, et comme un mur d’airain. « (Jér. I, 47.) Il y a cette différence, que l’un n’était exposé qu’aux attaques d’un seul peuple; et que l’autre était destiné à combattre tous les peuples de la terre.
Je demande ici à ceux qui s’efforcent de diminuer la dignité du Fils de Dieu, lequel de ces deux dons est le plus grand; ou celui que le Père fait à saint Pierre, ou celui que lui fait le Fils. Le Père lui fait connaître son Fils, et le Fils lui donne le pouvoir de révéler le Père et le Fils, et d’en donner la connaissance à toute la terre. Lorsqu’il lui donne ces «clefs » célestes, il rend un homme mortel maître de tout ce qui est dans les cieux. li fait qu’il répand la foi et qu’il étend l’Eglise par tout le monde, avec une fermeté plus immobile et plus inébranlable que n’est le ciel même, « puisque le ciel et la terre passeront, et que les paroles de Jésus-Christ ne passeront pas (Matth. XXIV, 25.) » Comment donc le Fils serait-il inférieur à son Père, puisqu’il fait de si grands dons aux hommes?