3.
Mais, direz-vous, comment aimons-nous contre la volonté de Dieu? — Quand nous dédaignons le Christ mourant de faim et que nous donnons à nos amis et à nos proches au-delà du nécessaire. A quoi bon, du reste, en dire davantage? Chacun n'a qu'à examiner sa conscience pour se trouver coupable là-dessus en plus d'un point. Il n'en était pas ainsi de notre bienheureux; il savait aimer, et aimer comme il faut, et surpasser tout le monde en charité, sans dépasser en rien les bornes de la charité. Et voyez comme il porte ces deux sentiments au plus haut degré : la crainte de Dieu et l'amour des Romains. En effet, prier sans cesse, et ne point se désister d'un voeu qui n'est pas rempli, c'est une preuve d'ardente affection ; mais ne tenir à l'objet de ses désirs que sous le bon plaisir de Dieu, c'est la marque d'une grande piété. Ailleurs même après avoir prié trois fois le Seigneur sans obtenir, en présence même du résultat contraire, il rend de grandes actions de grâces de n'avoir point été exaucé (II Cor. XII, 8) : tant il avait Dieu en vue en toutes choses ! Ici, il obtint, il est vrai, mais tardivement et non quand il demandait, et il ne s'en affligea point. Je dis cela pour que nous ne nous attristions pas, quand nous ne sommes point exaucés ou que nous ne le sommes que tard. Nous ne sommes pas meilleurs que Paul qui rendit grâces dans les deux cas et eut raison de le faire. Comme il s'était livré une bonne fois à la main qui gouverne tout, avec autant de docilité que l'argile à la main du potier, il allait partout où Dieu le conduisait.
Après avoir exprimé son désir de les voir, il en donne la raison. Quelle est-elle? « Pour (199) vous communiquer quelque chose de la grâce spirituelle, afin de vous fortifier ». Ce n'était pas sans motif qu'il voulait aller là, comme font tant de gens qui entreprennent des voyages inutiles et sans profit, mais pour des affaires nécessaires et pressantes; ce qu'il n'exprime pas clairement, mais par énigmes. Car il ne dit point : Pour vous instruire, pour vous prêcher, pour vous donner ce qui vous manque ; mais « pour vous communiquer quelque chose », indiquant qu'il ne donne rien de lui-même, mais fait part de ce qu'il a reçu. Et encore parle-t-il ici avec modestie : « Quelque chose »; peu de chose, veut-il dire, et en proportion avec ma mesure. Et qu'est-ce donc que ce peu que vous allez leur communiquer? — Quelque chose « pour vous fortifier », répond-il.
C'est donc un effet de la grâce, de ne pas chanceler, de se tenir ferme. Et quand on vous parle de grâce, gardez-vous de croire que ce soit à l'exclusion du mérite de la volonté ; car si Paul tient ce langage, ce n'est pas qu'il ne tienne aucun compte de la volonté, mais c'est pour détruire l'enflure de l'orgueil. Ne vous découragez donc point, parce qu'il appelle cela grâce. Dans l'excès de sa reconnaissance, il donne le nom de grâces à toutes les bonnes actions, parce qu'en toutes, le secours d'en-haut nous est bien nécessaire. Après avoir dit « Pour vous fortifier », il leur insinue qu'ils ont grand besoin d'être corrigés. Car voici ce qu'il veut dire : Depuis longtemps je désirais et souhaitais de vous voir, dans le seul but de vous fortifier, de vous affermir et de vous consolider dans la crainte de Dieu, afin que vous ne soyez pas toujours chancelants. Il ne s'exprime pourtant pas ainsi, car il les aurait blessés; il se contente d'insinuer sa pensée doucement et sous une autre forme, en se servant de ces mots . « Pour vous fortifier ». Ensuite, comme ce langage était très-pénible, voyez comme il l'adoucit par la suite. En effet de peur qu'ils ne disent : Quoi donc ! est-ce que nous chancelons? est-ce que nous sommes ballottés ? avons-nous besoin de votre parole pour être fermes? Il prévient l'objection en ces termes : « C'est-à-dire, pour me consoler avec vous par cette foi, qui est tout ensemble votre foi et la mienne ». Comme s'il disait Ne supposez point que je vous ai dit cela par manière de reproche; ce n'était point là mon intention : qu'ai je donc voulu vous dire? Vous avez beaucoup souffert de la part de vos persécuteurs, j'ai donc désiré vous voir pour vous consoler, et non-seulement pour vous consoler, mais encore pour recevoir moi-même de la consolation.