4.
Voyez la sagesse de ce maître ! « Pour vous fortifier », dit-il. Il sentait que son langage était désagréable et pénible pour ses disciples, et il ajoute : « Pour vous consoler ». Quoique ces expressions soient plus douces que les premières, elles contiennent cependant encore quelque chose de désagréable. Aussi leur ôte-t-il encore ce caractère, en mitigeant absolument son langage, de manière à le rendre tout à fait acceptable. Car il ne dit pas simplement: Pour vous consoler, mais : « Pour me consoler avec vous », et non content de cela, il apporte encore un nouvel adoucissement en disant : « Par cette foi qui est tout ensemble votre foi et la mienne ». O ciel ! quelle humilité ! Il laisse entendre qu'ils n'ont pas seulement besoin de lui, mais qu'il a aussi besoin d'eux : il place les disciples au rang de maître, et abdique tout privilège pour être l'égal de tous. Le profit, leur dit-il, nous sera commun : j'ai besoin de votre consolation, et vous de la mienne. Et comment cela? « Par « cette foi, qui est tout ensemble votre foi et la « mienne ». Car comme en allumant beaucoup de lampes, on produit une grande clarté, ainsi en est-il parmi les fidèles. En effet, quand nous sommes séparés les uns des autres, nous avons moins de courage ; mais quand nous nous voyons mutuellement, et que nous gommes rapprochés comme les membres d'un même corps, nous sommes singulièrement consolés. Toutefois , ne comparez point ce temps-là au temps présent où, par la grâce de Dieu, les fidèles sont nombreux dans les bourgades, dans les villes, et même dans les déserts, où l'impiété se trouve refoulée; mais reportez-vous à cette époque et songez combien il était doux au maître de voir ses disciples, et aux frères de voir des frères venus d'autres cités. Eclaircissons cela par un exemple.
Si par hasard (et que le ciel nous en garde !) nous nous trouvions transportés chez les Perses, chez les Scythes ou d'autres barbares, et dispersés par deux ou trois, dans leurs villes, imaginez quelle consolation nous éprouverions à voir tout à coup arriver d'autres endroits quelques-uns des nôtres. Ne voyez-vous (200) pas les prisonniers se lever et s'élancer par l'effet de la joie, quand ils reçoivent la visite d'un ami? Et ne vous étonnez pas que je compare ces temps-là à la captivité et à la prison; car les fidèles souffraient encore bien davantage, dispersés qu'ils étaient, repoussés, en proie aux horreurs de la faim et de la guerre, craignant la mort tous les jours, obligés de se défier de leurs amis, de leurs parents, de leurs proches, étrangers au milieu du monde, et plus malheureux même que des exilés. Voilà pourquoi Paul dit : « Pour vous fortifier et me consoler avec vous, par notre foi commune ». Non pas qu'il ait besoin de leur secours, loin de là; comment en aurait-il besoin, lui, la colonne de l'Eglise, lui plus solide que le fer et la pierre, lui, le diamant spirituel, lui, qui suffit à d'innombrables cités ? Mais pour ne pas les blesser, pour adoucir la correction, il leur dit que leur consolation lui est nécessaire. Du reste on ne se tromperait pas en disant qu'il y avait un sujet de consolation et de joie dans la foi et les progrès des fidèles, et que Paul en avait besoin. — Mais, pouvait-on lui dire, si vous désirez si vivement recevoir et donner cette consolation, qui vous empêche d'aller là ?
Pour répondre à cette objection, il ajoute « Aussi je ne veux pas que vous ignoriez, mes frères, que je me suis souvent proposé d'aller vers vous, mais j'en ai été empêché jusqu'à « présent (13) ». Voyez là une preuve de sa parfaite obéissance et de sa profonde gratitude. Il dit bien qu'il a été empêché, mais il ne dit pas par quoi. Il ne discute point les ordres du Maître, il se contente d'y obéir. Il y avait cependant lieu de demander pourquoi Dieu privait si longtemps d'un pareil docteur une ville si illustre, si grande, et sur laquelle le monde entier avait les yeux fixés. En effet, en s'emparant d'une capitale on se rend maître de tout l'empire; mais la laisser pour s'attaquer aux lieux qui en dépendent, c'est négliger le point essentiel. Cependant Paul ne se livre point à ces inutiles recherches ; il obéit à un ordre de la Providence, sans le comprendre, nous faisant voir par là sa modération et nous apprenant à ne jamais demander à Dieu raison des événements, quand bien même beaucoup en paraîtraient troublés. Car c'est au maître à commander, et aux serviteurs à obéir. Voilà pourquoi Paul dit qu'il a été empêché, sans dire pour quelle raison. Je n'en sais rien, leur dit-il, ne me demandez pas quel est le dessein, quelle est la volonté de Dieu. Ce n'est point au vase à dire au potier : « Pourquoi m'as-tu fait ainsi ?» (Rom. IX, 20.) Pourquoi, je vous le demande, voudriez-vous savoir cela? Ne savez-vous pas que Dieu a soin de tout, qu'il est sage, qu'il ne fait rien sans raison et au hasard? qu'il vous aime plus que vos parents? que son amour pour vous surpasse celui d'un père, sa tendresse celle d'une mère ? Ne demandez donc rien de plus, n'allez pas plus loin; en voilà assez pour votre consolation; puisque alors tout était en règle à Rome. Si vous ignorez comment, ne vous en inquiétez point. C'est là surtout le propre de la foi, d'accepter la conduite de la Providence sans en connaître les raisons.