4.
Comme un bon père chérit son fils unique, son enfant à lui, c'est ainsi que Paul chérissait tous les fidèles : Aussi disait-il « Qui est malade sans que je sois malade avec lui? Qui est scandalisé sans que je brûle? » (II Cor. XI, 29.) Ce doit être la, dans celui qui enseigne, la première de toutes les vertus. Voilà pourquoi le Christ disait à Pierre : « Si vous m'aimez, paissez mes brebis ». (Jean, XXI, 17.) Qui aime le Christ, aime aussi son troupeau. Ce qui valut à Moïse d'être mis à la tête des Juifs, c'est la bouté qu'il montra pour eux; ce qui éleva David à la royauté, ce fut d'abord l'amour qu'il montra pour le peuple. Jeune encore, il s'affligeait de ses douleurs, au point d'exposer sa vie, lorsqu'il abattit ce géant barbare. Quoiqu'il ait dit: « Que donnera-t-on a celui qui tuera cet étranger? » (I Rois, XVII, 26), ce qu'il demandait, ce n'était pas la récompense, mais la confiance qui s'en reposerait sur lui , qui le chargerait du combat. Aussi, après la victoire, retourné près du roi, il ne dit pas un mot du salaire. Samuel aussi était plein d'amour pour le peuple, et il disait : « Dieu me garde de commettre ce péché, que je cesse jamais de prier pour vous le Seigneur » ; (I Rois, XII, 23.) C'est ainsi que se montra le bienheureux Paul; ou plutôt il surpassait de beaucoup tous les autres par l'ardeur de son amour pour ceux qu'il gouvernait. Aussi les sentiments qu'il inspira pour lui à ses disciples, furent tels qu'il disait d'eux : « S'il eût été, possible, vous vous seriez arraché les yeux, pour me les donner ». (Gal. IV, 15.) Voilà pourquoi Dieu adresse aux pasteurs des Juifs, des accusations plus sévères qu'à tous les autres, il leur dit : « O pasteurs d'Israël, est-ce que les pasteurs se paissent eux- mêmes? Est-ce qu'ils ne paissent pas leurs brebis ? » Ces pasteurs faisaient tout le contraire. «Vous mangez le lait », dit-il, « et vous vous couvrez de la laine ; ce qu'il y a de plus gras, vous l'égorgez, et vous ne paissez pas les brebis ». (Ezéch. XXXIV, 2, 3.)
Et le Christ formulant la règle du bon pasteur: « Le bon pasteur », disait-il, « donne sa vie pour ses brebis ». (Jean, X, 11.) C'est ce que David montra en beaucoup de circonstances, et surtout lorsque la colère du ciel, colère terrible, menaçait tout le peuple; les voyant tous périr, il disait : « C'est moi qui ai péché; c'est moi qui suis coupable; qu'ont fait ceux-ci qui ne sont que des brebis? » (413) (II Rois, XXIV, 17.) Aussi, dans le choix des châtiments suspendus alors sur les têtes, il ne demanda pas la famine, l'épée des ennemis, mais la mort envoyée par Dieu; il s'attendait à voir ainsi les autres en sûreté, tandis que lui serait frappé le premier de tous. Cette prévision ne se réalisant pas, il pleure, il s'écrie : « Que votre main se tourne contre moi », et si cela ne suffit pas, « et contre la maison de mon père ». Car « c'est moi, dit-il, moi, le pasteur, qui ai péché ». C'est comme s'il disait: Quand même ceux-ci auraient péché, c'est moi qui suis responsable, pour ne les avoir pas redressés; mais puisque c'est moi qui ai commis le péché, c'est moi qui dois être puni. Pour exagérer sa faute, il prend le nom de pasteur. Voilà comment il apaisa la colère divine, voilà comment il fit révoquer la sentence : tant est grand le pouvoir de la confession : « Le juste s'accuse lui-même le premier (Prov. XVIII, 17) ; voilà jusqu'où s'étend la sollicitude , l'affection compatissante d'un pasteur excellent. Ses entrailles étaient déchirées, quand il voyait tomber ceux en qui il croyait voir mourir ses propres enfants; voilà pourquoi il demandait que la colère se déchargeât sur sa tête. Dès le commencement de l'extermination, il aurait montré le même coeur, s'il n'avait pas espéré que le fléau viendrait jusqu'à lui. Quand il se vit épargné , quand il vit que le désastre ravageait son peuple, alors il n'y tint plus, il se sentit plus dévoré par la douleur que par la perte d'Ambon son premier-né. En effet, il ne demanda pas pour lui la mort en ce moment, mais maintenant, il veut succomber avant les autres. Voilà ce que doit être le chef, il doit montrer plus d'affliction pour les malheurs des autres que pour ses propres souffrances. Ce qu'il ressentit à l'égard de son fils, c'est pour vous apprendre que ce fils ne lui était pas plus cher que le peuple qui lui était soumis. C'était un libertin, un parricide; cependant David s'écriait : « Qui me donnera de mourir pour toi ? » (II Rois, XVIII, 33.) Que dites-vous, ô bienheureux, ô vous, de tous les hommes le plus clément ? Ce fils a voulu vous tuer, il vous a réduit aux dernières extrémités, et c'est parce qu'il n'est plus, et c'est quand vous triomphez, que vous appelez la mort? Oui, répond-il; ce n'est pas pour moi que mon armée a vaincu, je soutiens de plus violents combats qu'auparavant, mes entrailles n'ont jamais été plus déchirées. Autrefois les chefs avaient à coeur les intérêts de ceux qui leur étaient confiés.