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Ne vous blessez donc point vous-même, ne vous perdez pas avec lui. Tant que vous êtes debout, vous pouvez le sauver; mais si vous vous tuez avec lui en lui rendant injure pour injure, qui vous remettra sur pied tous les deux? Est-ce lui, qui est blessé ? Mais il ne le peut; il est à terre. Est-ce vous, qui êtes tombé avec lui? Eh ! comment? Vous qui ne pouvez vous tendre la main à vous-même, la tendrez-vous à un autre? Tenez-vous donc généreusement debout, présentez votre bouclier, et, par votre patience,retirez du combat votre frère mort. La colère l'a blessé? N'ajoutez pas blessure à blessure, mais arrachez plutôt le trait. Si nous noua traitons ainsi mutuellement, nous serons bientôt tous en bonne santé; mais si nous nous armons les uns contre les autres, il n'y aura plus besoin du démon pour nous perdre. Toute guerre est désastreuse, mais surtout la guerre civile. Et celle dont je parle l'emporte d'autant sur la guerre civile, que nos. liens de gouvernement, ou plutôt de parenté sont plus étroits.
Jadis Caïn tua Abel, et versa le sang fraternel; mais le meurtre dont nous parlons l'emporte sur celui-là en injustice, et parce que la proximité est plus grande, et parce que le genre de mort est plus terrible.. Car Caïn ne perça qu'un corps, et vous aiguisez votre glaive contre une âme. Mais vous avez souffert le premier? Souffrir ce n'est pas recevoir le mal, mais le faire. Examinez un peu : Caïn a tué, Abel a été tué : où est le mort? Est-ce celui qui criait après sa mort, selon ce qui est écrit « La voix du sang de ton frère, crie vers moi» ; (Gen. IV, 20.) ou celui qui, vivant, tremblait et craignait? Celui-ci sans contredit était plus malheureux que quelque mort que ce soit. (249) Voyez-vous que le meilleur est encore de souffrir l'injustice, quand elle devrait aller jusqu'au meurtre ? Apprenez que le pire est de la commettre, quand même on serait assez fort pour donner la mort. Caïn a frappé et abattu son frère, mais Abel a été couronné et Caïn a été puni; Abel a été tué et immolé contre toute justice, mais, en mourant il accusait son frère,-il le tuait, il s'en emparait; et Caïn vivant gardait le silence, rougissait, était surpris en flagrant délit, et atteignait un résultat opposé à celui qu'il avait envié. En effet, il tuait son frère parce qu'il le voyait aimé ; et il se proposait de le priver de cet amour; et au contraire, il n'a fait que l'augmenter, puisque Dieu s'attachait davantage à la victime, jusqu'à dire : « Où est ton frère Abel ? » ( Ib. 9.) Bien loin d'avoir éteint l'amour par la jalousie , tu n'as fait que l'enflammer; loin de diminuer son honneur par le meurtre, tu n'as fait que l'augmenter. Dieu l'avait d'abord fait ton inférieur; mais puisque tu lui as donné la mort, du fond de son tombeau il se vengera contre toi : tant est grand l'amour que je lui porte. Quel est donc le condamné, de celui qui a puni, ou de celui qui a été puni? De celui que Dieu honore jusqu'à ce point, ou de celui qui est livré à un supplice nouveau? Tu ne l'as pas craint vivant, dis-tu; crains-le donc mort; tu n'as pas frémi en lui enfonçant le glaive, après avoir versé son sang, tu seras sous le poids d'une terreur continuelle; vivant, il était. ton serviteur et tu n'as pu le supporter : mort, il est devenu pour toi un maître redoutable. Pensons à cela, mes bien-aimés, et fuyons l'envie , éteignons la malice , aimons-nous mutuellement, afin de recueillir les fruits de la charité dans cette vie et dans l'autre, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent la gloire et la force, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.