5.
Pour rendre cette vérité plus claire, imaginons, si vous voulez, deux villes, l'une de riches, et l'autre de pauvres, et dans la ville des riches il n'y aurait point de pauvres, et dans la ville des pauvres il n'y aurait point de riches, car nous y faisons un triage parfait; voyons maintenant quelle est celle qui pourra se suffire. Si nous trouvons que c'est la ville des pauvres, il sera prouvé que les riches ont plutôt besoin d'eux. Dans la ville des riches, il n'y aura point d'artisans, ni architecte, ni forgeron, ni cordonnier, ni boulanger, ni laboureur, ni chaudronnier, ni cordier, ni quelqu'artisan que ce soit. Qui donc des riches voudra travailler à ces métiers, puisque les artisans mêmes, devenus riches, ne veulent plus supporter ces durs travaux? Comment donc cette ville pourra-t-elle subsister? On me dira que les riches achèteront tout des pauvres à prix d'argent. Ainsi déjà ils ne pourront se suffire à eux-mêmes, s'ils ont besoin des pauvres. Et qui donc construira les maisons ? Les achètera-t-on aussi ? Mais cela ne se peut. Il faudra donc appeler des artisans, et enfreindre la loi que nous avons établie au commencement, alors que nous avons fourni la ville d'habitants : vous vous souvenez, en effet, que nous avons dit qu'elle ne renfermerait point de pauvres. Et voici que la nécessité même, contre notre gré, y appellera et y introduira les pauvres. D'où il appert qu'une ville sans pauvres ne peut subsister; et que si une cité demeure en effet sans en recevoir, ce ne sera bientôt plus une cité, car elle périra. Ainsi aucune ville ne pourra se suffire, si elle n'a appelé dans son sein des pauvres pour la conserver.
Voyons d'un autre côté la ville des pauvres, et si pareillement elle se consumera dans le besoin par l'absence des- riches. Et d'abord établissons et définissons clairement les richesses. Quelles sont les richesses? l'or, l'argent, les pierres précieuses, les vêtements de soie, de pourpre et d'or. Maintenant que nous savons quelles sont les richesses, bannissons-les de la ville des pauvres, si nous voulons établir une vraie cité des pauvres; que l'or ni les vêtements que j'ai nommés n'apparaissent aux habitants, même en songe; ajoutez, si vous voulez, l'argent et les ustensiles d'argent. Eh bien ! dites-moi si à cause de cela la ville sera dans le besoin. Nullement: s'il faut bâtir, on n'a besoin ni d'or, ni d'argent, ni de perles, mais du travail des mains, et non pas de mains quelconques, mais de mains calleuses et de doigts endurcis, de bras forts, de poutres, de pierres ; s'il faut tisser des vêtements, on n'a point besoin d'or ni d'argent, mais de mains, de l'industrie et du travail des femmes. S'il faut cultiver et piocher la terre, a-t-on besoin de riches ou de pauvres? Evidemment de pauvres. Et s'il faut travailler le fer ou quelqu'autre métal, c'est alors surtout que nous aurons besoin du peuple. Quand donc aurons-nous besoin des riches, sinon quand il faudra détruire cette ville? Car, lorsque les riches une fois entrés, le désir de l'or et des perles se sera emparé de ces sages (car j'appelle sages ceux qui ne cherchent point le superflu), quand ils se seront adonnés à l'oisiveté et à la volupté, tout sera perdu. Mais si les richesses, direz-vous, ne sont- pas utiles, pourquoi Dieu nous les a-t-il données? Et où prenez-vous que c'est Dieu qui nous a donné les richesses? L'Ecriture dit : « L'argent est à moi, et l'or est à moi » (Aggée, II, 9), et je les donnerai à qui je voudrai.
Si je voulais me rendre coupable d'inconvenance, je rirais ici à gorge déployée, pour me moquer de ceux qui parlent ainsi, car ils sont semblables à de petits enfants qui, admis à la table d'un roi, avaleraient, en même temps que les mets royaux, tout ce qui leur tomberait sous la main. C'est ainsi qu'ils mêlent leur pensée à celles des saintes Ecritures. Ces paroles : «L'argent est à moi et l'or est à moi », ont été dites, je le sais, par le prophète, mais celles-ci : Je le donnerai à qui je voudrai, ne se trouvent point chez lui, elles y ont été introduites par ces gens misérables. Voici pourquoi le prophète Aggée parle ainsi. Comme il avait promis souvent aux Juifs, après le retour de Babylone, de leur montrer un temple aussi beau que l'ancien, quelques-uns n'ajoutaient pas foi à ses paroles, et ils pensaient que c'était une chose presque impossible que le temple, après avoir été réduit en cendres et en poudre, apparût dans son ancienne splendeur, et lui, pour dissiper leur incrédulité, parle au (533) nom de Dieu, et c'est comme s'il disait : Que craignez-vous? Pourquoi n'avez-vous pas foi? « L'argent est à moi et l'or est à moi », et je n'ai point besoin, pour construire mon temple, de l'argent emprunté avec usure. Et il ajoute : « La gloire de cette maison sera au-dessus de la gloire de la première ». (Aggée, II,10.) N'allez donc pas mêler des toiles d'araignées à un vêtement royal. Car si l'on surprenait quelqu'un occupé à mêler à la pourpre un tissu grossier, on le punirait du dernier châtiment ; et, à plus forte raison, quand il s'agit du spirituel, car ce n'est point là une faute légère. Et que dire des additions et des soustractions? Le changement d'un point et une leçon différente, donnent souvent lieu à des sens absurdes.
