5.
Mais l'Église ressemble aujourd'hui à une femme déchue de son ancienne splendeur, et n'a plus que des images de sa prospérité d'autrefois, elle montre les cassettes et les coffrets où étaient renfermées des richesses, mais elle a perdu les richesses elles-mêmes. C'est à cette femme que l'Église ressemble. Ce n'est point à cause des grâces que je parle ainsi , il n'y aurait rien. d'étonnant si elle n'avait perdu que cela, mais elle a perdu encore la bonne conduite et la vertu. Autrefois la foule des veuves et la troupe des vierges servaient d'ornement à l'Église; maintenant elle est déserte et vide, et elle n'a plus que des fantômes. Il y a encore aujourd'hui des veuves et des vierges, mais elles n'ont plus ces qualités qui doivent orner les femmes qui, se préparent à de tels combats. Le caractère auquel on reconnaît le mieux une vierge, c'est qu'elle ne s'occupe. que de Dieu et n'est occupée qu'à le prier continuellement ; et l'on reconnaît une veuve, non pas à ce qu'elle ne désire point un mariage heureux, mais à d'autres signes, comme la charité, l'hospitalité, l'assiduité à la prière et à toutes les autres vertus que demande Paul dans sa lettre à Timothée.
Même parmi les femmes qui se sont soumises au mariage, on en peut trouver qui font preuve d'une grande vertu : cependant ce n'est pas cela seulement qu'on leur demande, mais le soin diligent et l'amour des pauvres; en quoi brillaient d'un vif éclat les femmes d'autrefois, il n'en est pas ainsi de beaucoup de femmes de notre temps. Alors au lieu d'or, c'étaient les aumônes qui leur servaient d'ornements; aujourd'hui elles s'en sont dépouillées, et elles sont couvertes de chaînes d'or forgées avec leurs péchés.
Dirai-je qu'un autre endroit encore n'a plus l'éclat d'autrefois? Jadis tout le monde se réunissait, et l'on chantait en commun. Nous le faisons encore aujourd'hui , mais alors tous n'avaient qu'un seul esprit et qu'une seule âtre; aujourd'hui vous ne trouveriez pas même en une seule âme cette concorde et cet accord, mais partout la guerre sévit. Celui qui préside à l'assemblée , demande encore à tous le silence, comme à ceux qui entrent dans la maison de leur père, mais ce n'est là qu'un vain mot; cela n'est jamais une réalité. Autrefois les maisons mêmes étaient des églises, aujourd'hui l'église même est une maison , elle est même pire que n'importe quelle maison. Car dans chaque maison vous remarquez un ordre bien établi : la maîtresse de la maison est assise sur un siège, entourée de chasteté, de modestie et d'honneur: autour d'elle les servantes filent en silence, et chaque serviteur s'occupe de la tâche qui lui est imposée.
Mais dans l'église il y a un grand tumulte, une grande confusion, et elle ne diffère en rien d'une auberge, tant sont forts les rires, tant est grand le désordre, ainsi que dans des bancs et dans un marché où tous crient et font du bruit. Et cela n'arrive qu'ici : car ailleurs il n'est pas permis , dans l'église , d'adresser la parole même à son voisin, même à un ami qu'on revoit après une longue absence; tout cela doit se faire au dehors, et avec raison. L'église, en effet, n'est pas une boutique de barbier ou de parfumeur, ou une de ces échoppes d'artisans qui sont au marche, c'est le séjour des anges , le séjour des archanges, le royaume de Dieu, le ciel lui-même. Si quelqu'un vous introduisait au ciel, lors même que vous verriez votre père ou votre frère, vous n'oseriez lui parler : ainsi dans l'église ne faut-il dire que des choses spirituelles, car c'est aussi le ciel. Si vous ne me (550) croyez pas, regardez cette table, souvenez-vous pourquoi ce prêtre s'y tient, rappelez-vous quel est celui qui y descend, et demeurez muets même avant l'élévation. Si vous voyiez seulement le trône d'un roi, vous seriez excités par l'attente de son arrivée. De même il faut vénérer Dieu, même avant l'élévation; il faut être muet, et, avant de voir le voile déployé et le choeur des anges qui s'avance, il faut s'élancer vers le ciel. Mais celui qui n'est pas initié aux mystères ignore cela, il lui faut donc d'autres exhortations. Et nous ne manquerons point de paroles qui lui apprennent à se lever, et qui lui persuadent de s'élever sur les ailes de la pensée. Vous donc, qui ignorez les mystères, quand vous entendrez le prêtre dire : Voilà ce que dit le Seigneur : Retire-toi de la terre, vous aussi, montez au ciel, réfléchissez à ce qu'est celui qui, par la voix du prêtre, parle avec vous. Quand un historien cherche à exciter le rire, quand une femme joue le rôle d'une courtisane éhontée , l'assemblée est assise et écoute avec un profond silence ce qui se dit; cependant personne n'ordonne le silence, et il n'y a ni tumulte, ni clameurs, ni aucun bruit : mais quand Dieu parle du haut du ciel de choses bien autrement étonnantes et vénérables, nous poussons l'impudence au-delà du cynisme, et nous n'accordons pas même à Dieu le même respect qu'aux courtisanes.
