5.
Et l'on peut dire la même chose de l'ouïe. La voix d'un homme ne saurait remplir l'espace que son oeil mesure, qui transmet le bruit à son oreille. Pourquoi nos membres ne jouissent-ils pas d'égales prérogatives? Pourquoi n'ont-ils pas un seul usage, une seule place : Paul aussi a scruté ce mystère, ou plutôt il ne l'a pas scruté, il était trop sage pour cela ; mais arrivé à ce point, il se borne à dire « Il a placé chaque chose selon qu'il a voulu » : la volonté de Dieu, voilà pour lui la clé de l'énigme. Renonçons donc, nous aussi, à ce genre de recherches, et bornons-nous à rendre grâces à Dieu en toute occurrence, selon l'avis qu'il nous donne. Telle est la conduite d'un bon serviteur, d'un homme sage et intelligent : l'autre conduite est celle d'un bavard, d'un oisif, d'un curieux. Considérez comme, parmi les serviteurs, les plus mauvais, ceux qui ne sont bons à rien, sont bavards, badauds, occupés des affaires, des secrets de leurs maîtres : tandis que ceux qui sont intelligents et honnêtes ne songent qu'à une chose, à faire leur service. Qui parle tant ne fait rien ; qui fait beaucoup ne parle pas hors de propos. Voilà pourquoi Paul écrivait au sujet des veuves : « Non-seulement oisives, mais encore causeuses et curieuses ». (I Timoth. V, 13.)
Dites-moi, quelle est la distance la plus grande, celle qui sépare des enfants les hommes de notre âge, ou celle qui sépare Dieu des hommes? Des moucherons à nous, et de nous à Dieu, quel est le plus grand intervalle? Il est clair que c'est le dernier. Pourquoi donc vous creuser ainsi l'esprit? « Rendez grâces pour toutes choses ». Mais, dira-t-on, si un païen m'interroge, que lui répondrai-je? Il voudra savoir de moi s'il y a une Providence; car, pour son compte , il le nie. Intervertis donc les rôles, interroge-le à ton tour. Eh bien ! il n'admet pas qu'il y ait une Providence. Qu'il y en a une, c'est ce qui résulte évidemment de ce qui a été dit : mais il résulte en même temps de notre impuissance à nous en rendre compte, qu'elle est incompréhensible. Si,, dans la conduite même des hommes, beaucoup de procédés demeurent obscurs pour nous, et que nous nous rendions néanmoins, quelque étranges qu'ils nous paraissent, à combien plus forte raison la même chose doit-elle être vraie de Dieu ! Mais en Dieu il n'y arien de déraisonnable, rien qui paraisse tel aux fidèles. Remercions-le donc de toutes choses, glorifions-le en toute occurrence. « Soumis les uns aux autres dans la crainte de Dieu »... Si vous vous soumettez à cause d'un magistrat, ou pour de l'argent, ou par respect, à plus forte raison devez-vous le faire par crainte de Dieu. Qu'il y ait échange de servitude, de soumission; de la sorte, il n'y aura plus de servitude... Que personne n'ait rang d'esclave; personne, rang d'homme libre; il vaut mieux être à la fois maîtres et esclaves, et se servir mutuellement; et un pareil esclavage est préférable à la liberté dans d'autres conditions. En voici la preuve :
Supposez qu'une personne ait cent serviteurs dont aucun ne fasse son office; mettez d'un autre côté cent amis qui se servent mutuellement. Quels seront les plus heureux, les plus joyeux, les plus contents? Ici point de colère, point de querelles, point de courroux, rien de pareil : là, crainte et abjection; contrainte d'une part, liberté de l'autre. Les uns servent parce qu'on les y force, les autres pour se rendre mutuellement la pareille. Telle est (538) la volonté de Dieu: voilà pourquoi il a lavé les pieds des disciples. Que dis-je? si vous voulez y bien regarder, entre les maîtres mêmes il y a échange de servitude. Qu'importe que l'orgueil masque cet échange? Quand cet homme vous prête le ministère de ses bras, et que vous, vous le nourrissez, le chaussez, l'habillez, c'est encore une espèce de servitude; car, à supposer que vous vous refusiez mutuellement votre ministère, cette personne est libre, et aucune loi ne le contraindra de vous rendre service, si vous ne le nourrissez pas. Faut-il donc s'étonner qu'il en soit ainsi pour les esclaves, quand il en est de même pour les hommes libres? « Soumis « dans la crainte du Christ ». Où est le mérite, puisque nous sommes rémunérés? Mais un tel ne veut pas se soumettre. Vous, du moins, soumettez-vous: il ne suffit pas d'obéir, il faut vous soumettre; il faut regarder chacun comme votre maître : c'est le moyen de vous assujettir promptement tout le monde par le plus fort, des esclavages. Car vous les conquerrez bien plus sûrement, si vous payez fidèlement votre dette, sans qu'ils s'acquittent de leur côté. Voilà ce que veut dire: « Soumis les uns aux autres dans la crainte du Christ». Ainsi nous triompherons de toutes les passions, nous servirons Dieu, nous ferons régner parmi nous une constante charité; et ensuite nous pourrons être jugés dignes des bontés divines, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui gloire, puissance, honneur au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
