1.
On a vu le pouvoir de la chaîne de Paul pouvoir immense, supérieur en éclat aux miracles. Ce n'est donc pas sans raison qu'il en parle en cet endroit : il ne voit pas de meilleur moyen pour faire rentrer en eux-mêmes ceux à qui il s'adresse. Que dit-il donc? « Je vous conjure, moi, chargé de liens pour le Seigneur, de marcher d'une manière digne de la vocation à laquelle vous avez été appelés ». Comment cela? « Avec toute humilité et toute mansuétude, vous supportant mutuellement en charité ». Ce qui est beau, ce n'est pas d'être chargé de liens, c'est d'être chargé de liens pour le Christ. Voilà pourquoi il dit : « Chargé de liens pour le Seigneur, c'est-à-dire pour le Christ ». Rien n'égale un tel sort. Mais voilà que cette chaîne nous écarte de plus en plus de notre sujet, nous entraîne, sans que nous ayons la force de résister; mais nous nous laissons entraîner librement, volontairement; et plût à Dieu que toujours il nous fût permis de parler de la chaîne de Paul ! Mais n'allez pas vous endormir : une nouvelle question surgit. Paul, faisant son apologie, dit à Agrippa : « Plaise à Dieu qu'il ne s'en faillé ni peu ni beaucoup; que non-seulement vous, mais encore tous ceux qui m'écoutent, deveniez aujourd'hui tels que je suis moi-même, à l'exception de ces liens ! » (Act. XXVI, 29.) S'il parle ainsi, ce n'est pas qu'il regarde ses liens comme un juste objet d'effroi : à Dieu ne plaise ! En effet, s'il en jugeait ainsi, il ne se glorifierait point de ses chaînes, de ses captivités, de ses autres tribulations; il n'écrirait point : « Je me glorifierai avec délices dans mes infirmités ». (II Cor. XII, 9.) Mais encore? Ceci même est une preuve du cas qu'il faisait des chaînes. Ainsi que dans son épître aux Corinthiens, il disait : « Je vous ai donné du lait à boire, et non des aliments, car vous n'étiez pas encore en état » (I Cor. III, 2) ; de même ici il s'adresse à des gens incapables de comprendre la beauté, la magnificence, l'utilité des chaînes. Voilà pourquoi il dit : « A l'exception de ces liens ». Ce n'est pas ainsi qu'il parle aux Hébreux : loin de là, il les exhorte à se faire enchaîner avec ceux qui sont dans les fers. — Aussi lui-même se complaisait-il dans ses liens; aussi se faisait-il enchaîner et conduire en prison avec les autres captifs. Grand est le pouvoir de la chaîne de Paul : c'est un spectacle qui vaut tous les autres, que de voir Paul enchaîné et tiré de sa prison. Le voir enchaîné et assis dans son cachot, n'est-ce pas une incomparable joie, un avantage inappréciable?
Vous voyez, n'est-ce pas? les monarques, les consuls, traînés sur des chars, tout couverts d'or, et comme eux, leurs satellites, avec des lances d'or, des boucliers d'or, des rênes (486) dorées, des chevaux enharnachés d'or. Combien le spectacle qui est sous nos yeux n'est-il pas plus attrayant! J'aimerais mieux avoir vu une fois Paul sortir du cachot, avec les prisonniers, que de voir mille fois ces grands personnages au milieu de leur cortège. Combien d'anges devaient le précéder dans cette glorieuse sortie? La preuve que je ne vous en impose pas, je l'emprunterai à une antique histoire. Elisée, le prophète (sans doute il ne vous est pas inconnu), à l'époque où le roi de Syrie était en guerre avec le roi d'Israël, révélait, sans sortir de chez lui, tout ce que le premier de ces princes méditait de concert avec ses confidents, et déjouait ainsi ses desseins, en divulguant ses secrets, et en empêchant les Juifs de tomber dans ses filets. Cela tourmentait le roi ; il était chagrin, et dans un grand embarras, ne pouvant deviner celui qui le trahissait et paralysait tous ses efforts. Comme il ne savait que penser, et cherchait l'origine de ces indiscrétions, un de ses gardes lui dit qu'il y avait, à Samarie, un prophète du nom d'Elisée, lequel, sans laisser au roi le temps de mûrir un projet, se hâtait de tout divulguer. L'autre pensa tenir son affaire mais voyez quelle était sa scélératesse ! Au lieu d'honorer cet homme, d'admirer ce pouvoir étrange qui le rendait capable de pénétrer de si loin, par la seule force de son esprit, tout ce qui se passait dans le conseil du roi; saisi de colère, et tout entier à sa fureur, il forme un corps de cavaliers et de fantassins, qu'il charge de lui amener le prophète. Elisée avait un disciple qui n'était point encore admis à prophétiser, parce qu'il ne paraissait point digne encore de prêter sa bouche à de telles révélations. Les soldats du roi parurent tout à coup devant lui, dans l'intention de le charger de liens, lui, ou plutôt le prophète. Voilà que nous retombons sur le sujet des chaînes. Que faire? C'est comme le tissu même de tout ce discours. Le disciple, en apercevant tant de soldats, accourt tout ému, tout tremblant, auprès de son maître, lui annonce le péril inévitable qu'il court, et ce qu'il regarde, lui, comme un grand malheur. Le prophète se mit à rire, en le voyant s'effrayer de si peu, et l'exhorta à la confiance. Mais l'autre, encore novice, ne se laissa pas convaincre ; toujours troublé de ce qu'il avait vu, il persistait à donner l'alarme. Que dit alors le prophète? « Seigneur, dit-il, ouvrez les yeux de ce petit enfant, et qu'il voie » (IV Rois, VI, 17) que nous avons plus d'alliés que ces hommes. Et aussitôt le disciple voit toute la montagne où le prophète habitait alors se couvrir de chars et de chevaux de feu. Ce n'était autre chose qu'une armée d'anges.