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Lorsque le bienheureux Paul arrive à une exhortation d'importance majeure, cet homme si sage, si favorisé des dons de l'Esprit, prend son point de départ dans les cieux, fidèle en cela aux leçons données par te Seigneur. C'est ainsi qu'il dit dans un autre endroit : « Marchez dans l'amour comme le Christ nous a aimés et s'est livré lui-même pour nous » (Eph. V, 2); et ailleurs encore : « Ayez en. vous les sentiments qu'avait en lui le Christ Jésus, qui, étant dans la forme de Dieu, n'a pas cru que ce fût une usurpation de se faire égal à Dieu ». (Philip. II, 5, 6.) Il fait la même chose ici. Devant les grands exemples exposés à sa vue, son zèle, son ardeur redoublent. Que dit-il, pour nous exhorter à l'unité? « Soyez un seul corps et un seul esprit, comme vous avez été appelés à une seule espérance dans votre vocation. Il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême». Qu'est-ce que ce corps unique? Les fidèles du monde entier, ceux qui le sont devenus, ceux qui le deviendront. De même pour ceux qui ont été agréés, même avait la venue du Christ. Comment cela? parce qu'ils connaissaient, eux aussi, le Christ. En voici la preuve : « Abraham, votre père, a tressailli pour voir mon jour; il a vu et il s'est réjoui ». (Jean, VIII, 56.) Et encore : « Si vous croyiez à Moïse, vous croiriez sans doute à moi aussi, parce que c'est de moi qu'il a écrit » (Ibid. V, 39); et les prophètes pareillement. Ils n'auraient pas écrit de lui, sans savoir ce qu'ils disaient : ils le connaissaient, partout ils l'adoraient. Ceux-ci donc aussi forment un seul corps. Le corps n'est point séparé de l'esprit, sans quoi ce ne serait pas un corps. Pareillement, nous avons coutume de dire en parlant des choses qui forment une unité, un enchaînement parfait : C'est un seul corps. C'est ainsi que dans l'union nous ne formons qu'un corps pour une tête. S'il n'y a qu'un corps, qu'une tète, le corps est composé de membres nobles et d'autres qui ne le sont pas. Ce n'est pas à dire que le meilleur essaie d'opprimer le moindre , ni que le moindre porte envie au meilleur. D'ailleurs tout ne contribue point pour une part égale, mais seulement à proportion de la nécessité. Et parce que tout est nécessaire et sert à divers usages, tout est égal en dignité. Néanmoins l'importance varie : ainsi la tête domine tout le corps, attendu qu'en elle est le siège de toutes les sensations et du gouvernement de l'âme : sans tête on ne peut vivre : au contraire bien des hommes ont vécu longtemps après qu'on leur avait coupé les pieds. Ce n'est donc pas seulement par sa position que la tête est supérieure, c'est encore par ses fonctions et son rôle.
Où veux-je en venir? Il y a dans l'Eglise bon nombre d'hommes qui s'élèvent en haut comme la tête, et contemplent les choses célestes comme les yeux de la tête, qu'un vaste intervalle sépare de la terre, qui n'ont rien de commun avec elle : d'autres jouent le rôle des pieds, de pieds saints toutefois, et foulent le sol. Ce qui est honteux pour les pieds, ce n'est (491) pas de fouler la terre, mais bien de courir au vice: « Ses pieds courent vers le vice » (Isaïe, LIX, 7), est-il écrit. C'est-à-dire : que les yeux ne dédaignent point les pieds, que les pieds ne soient pas jaloux des yeux. Autrement chacun compromettrait la beauté qui lui est propre, et mettrait obstacle à l'accomplissement de sa fonction particulière; et ce serait à bon droit : car vouloir nuire au prochain , c'est vouloir se nuire à soi-même. Si donc les pieds ne voulaient point porter la tête à l'endroit où elle doit se rendre, ils se nuiraient à eux-mêmes par leur paresse et leur fainéantise ; et si la tête refusait de s'occuper des pieds, elle serait la première atteinte.
Mais ces organes, dira-t-on, ne se font pas mutuellement la, guerre pour une bonne raison: la nature le veut ainsi. Maintenant, comment est-il possible qu'un homme ne fasse pas la guerre à un homme? Cela ne se voit pas d'hommes à anses, ni d'anges à archanges : les brutes, d'autre part, sont incapables de me traiter avec dédain. Mais la où la nature met des prérogatives égales, où le privilège est unique, et la répartition parfaite, comment n'y aurait-il pas de discorde? C'est justement pour cela que vous ne devez pas faire la guerre au prochain. Si tout est commun, si l'égalité est parfaite, d'où viendrait l'orgueil ? Nous participons de la même nature, corps et âme tout à la fois, nous respirons le même air, nous mangeons les mêmes aliments. Pourquoi nous ferions-nous la guerre ? Peut-être la pensée que nous pouvons, par la vertu, triompher des puissances incorporelles, est-elle propre à nous inspirer de l'orgueil? Non, ce n'est pas là de l'orgueil. Quant à moi, je brave, comme de juste, le démon, je le brave et le méprise. Considérez à quel point Paul méprisait le démon. Quand le démon parlait de lui en termes magnifiques, il lui ferma la bouche, incapable de tolérer même ses flatteries. La jeune fille qui avait. un esprit de python, disait : «Ces hommes sont des serviteurs du Dieu Très-Haut, qui vous annoncent la voie du salut ». Paul, par une réprimande sévère, ferme cette bouche impudente. (Actes, XVI, 17.) Ailleurs encore il écrit : « Dieu écrasera Satan sous vos pieds promptement ». La différence de nature y lit-elle quelque chose ?