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Telle est la grandeur d'âme que nous enseigne l'apôtre. Que si votre frère, à son tour, dit-il, objet de tant d'honneur de votre côté, revêt à votre égard les mêmes sentiments, songez quelle sûreté acquerra votre mutuelle bienveillance ainsi munie comme d'un double rempart. Tant que vous garderez, en effet, l'un pour l'autre , ce profond respect, tout incident fâcheux est impossible. Car s'il suffit, pour anéantir toute rivalité, que d'un seul côté déjà l'on rende à l'autre partie cet honneur, quand il est rendu de part et d'autre, qui pourra faire brêche à une si solide fortification? L'assaut est impossible au démon lui-même ; l'enceinte est triple , quadruple, incomparablement fortifiée.
L'humilité, en effet, est la cause de tout bien, de tolite vertu. Pour l'apprendre mieux encore, écoutez le prophète : « Si vous aviez « voulu un sacrifice, je vous l'eusse offert, ô mon Dieu; mais les holocaustes ne peuvent vous plaire. Le vrai sacrifice à Dieu , c'est un esprit pénitent : Dieu ne méprisera jamais un coeur contrit et humilié ». (Ps. L, 19.) Le prophète ne veut pas simplement l'humilité, il lui faut un degré avancé d'humilité : « Un brisement ». De même que dans un objet matériel une partie broyée ne peut lutter contre un corps solide , mais qu'elle se détruit à chaque coup qui lui est porté avant même de lui avoir rendu le choc, ainsi en est-il d'une âme vraiment humble : elle choisira les mauvais traitements et la mort même, plutôt que d'attaquer, plutôt que de se venger.
Ah ! jusqu'à quand respirerons-nous cet esprit d'orgueil si ridicule? Quand nous voyons de pauvres enfants s'emporter; s'enfler, jusqu'à s'armer de pierres, jusqu'à les lancer, le rire nous prend; or tel est l'orgueil de l'homme, il vient de la puérilité et de la sottise. « Pourquoi la terre et la cendre s'élèvent-elles d'orgueil? » (Ecclés. X, 9.) Tu conçois des pensées orgueilleuses , ô homme ! Pourquoi? Dans quel intérêt, dis-moi ? D'où vient cette hauteur envers tes semblables? N'es-tu donc plus de même nature qu'eux? N'ont-ils pas une âme comme toi ? une âme qui a reçu de Dieu la même gloire? — Tu es un sage ? je le veux; alors tu dois être reconnaissant, et non enflé de vanité. C'est l'ingratitude au premier chef, que cette démence d'esprit; et elle détruit et méconnaît la générosité du bienfaiteur. En s'élevant, on le fait pour s'attribuer le mérite de la bonne oeuvre ; et en s'attribuant ce mérite , on prouve son ingratitude envers celui de qui on a reçu ce bienfait. As-tu quelque bien? Rends-en grâces à l'auteur de tout bien. Ecoute ici la parole et de Joseph et de Daniel.
Le premier sort de prison, par ordre du roi d'Egypte ; en présence de toute sa cour ce prince l'interroge sur un point où la sagesse Egyptienne, malgré son habileté en ces sortes de question , était restée muette ; Joseph vase montrer bien supérieur en tout; il va manifester une science qui efface astrologues, devins, thaumaturges, magiciens, et sages de toute sorte, bien qu'il ne soit qu'un enfant sorti à peine de prison et d'esclavage. La gloire n'est que plus grande, en pareille circonstance, puisque autre chose est qu'un homme illustre déjà brille une fois de plus, autre chose qu'un inconnu se révèle; moins on soupçonnait la réponse qu'il allait faire, plus il en devait être admiré. Or, que dit Joseph présenté à Pharaon? Répond-il : Oui l 'je sais tout ! Tant s'en faut. Quoi donc? sans influence de personne, uniquement inspiré par sa profonde reconnaissance, que dit-il enfin? « N'est-ce pas à Dieu qu'appartient semblable interprétation? » (Gen. XL, 8.) Voyez comme il s'empresse de rendre gloire à Dieu, et comme Dieu aussitôt le glorifie lui-même, par une faveur qui doit compter dans l'appréciation de la vraie gloire. Car il est bien plus beau pour lui de recevoir le don d'interprétation par la révélation de Dieu , que d'y arriver par son effort personnel, outre que les paroles de Joseph lui gagnaient la confiance publique, et devenaient un témoignage irrécusable de sa familiarité avec Dieu. Or, aucun bien n'est comparable à cette divine familiarité. Car, dit saint Paul, « si l'homme est justifié par ses propres oeuvres, il en a la gloire, mais non pas devant Dieu ». (Rom. IV, 2.) Celui, en effet, qui a trouvé grâce devant Dieu, se glorifie aussi devant Dieu, parce qu'il est aimé de lui, puisque sa bonté a daigné se rapprocher d'une créature pécheresse. L'homme de ses oeuvres, au contraire, trouve la gloire, mais non pas comme l'autre, la gloire devant Dieu preuve certaine de notre grande misère ! — (33) Combien est plus admirable celui qui reçoit de Dieu la sagesse ! Il rend gloire à Dieu, il en reçoit la gloire en retour. « Car je glorifie », dit-il, « ceux qui me glorifient ».
Mais écoutons un des descendants de Joseph, un sage que personne n'a surpassé, puisqu'il est écrit : « Etes-vous donc plus sage que Daniel? » (Ezéch.XXVIII, 3.) Ce Daniel devait partager le sort de tous les sages qui avec lui étaient à Babylone :astrologues, devins, magiciens, faiseurs de prestiges; toute l'école de sagesse était non-seulement réprouvée, mais déjà exécutée : la peine capitale prononcée contre eux tous par le roi, prouvait assez qu'il se regardait comme trompé de longue date. Daniel donc se présente au roi, pour résoudre la question proposée; loin de se donner à lui-même un regard complaisant, il commence par reporter à Dieu tout honneur : « Ce n'est pas dans la sagesse que je posséderais plus qu'aucun autre homme, que révélation m'a été faite, ô prince!... Alors le roi adora Daniel et dit : Qu'on fasse venir les victimes et les offrandes ! (Dan. II, 30.) Avez-vous compris tant d'humilité, cette reconnaissance, ce caractère ennemi de tout orgueil?
Ecoutez aussi le langage des apôtres, tantôt « Pourquoi nous regardez-vous », disent-ils, « comme si c'était par notre puissance ou notre piété que nous avons fait marcher cet homme? »Tantôt : «Et nous aussi », s'écrient-ils, a nous sommes des hommes mortels, semblables à vous! » (Act. III, 12 et XIV, 14.) Voilà comment ils répudiaient des honneurs spontanément offerts, ces hommes qui, grâce à leur humilité en Jésus-Christ, grâce à sa puissance, opéraient des prodiges plus grands que ceux de Jésus-Christ lui -même; car « celui qui croit en moi », avait-il dit, « fera de plus «grandes choses que moi-même je n'en fais » comment donc ne pas nous appeler des malheureux, des misérables, nous qui ne pourrions chasser je ne dis pas des démons, mais des moucherons, nous qui n'avons pas même le pouvoir d'obliger un de nos semblables, bien loin d'être les sauveurs du monde entier, et qui cependant portons si haut nos pensées, que le démon même n'atteindrait pas à notre orgueil ?