Introduction
AVERTISSEMENT.
Des contemporains de saint Chrysostome disaient que l'épître à Philémon était un écrit superflu composé pour un intérêt passager et pour un seul homme, Onésime. C'est avec une extrême vigueur que le saint Docteur les réfute. Il montre qu'il est très-important pour notre instruction que nous ayons non-seulement les grandes épîtres de l'apôtre, mais même la relation détaillée, de ses moindres actions. Cette épître est commenté avec un soin qu'on trouverait à peine dans ses autres ouvrages.
Quant à la question de savoir si ces trois furent homélies prononcées à Antioche ou à Constantinople, il est à peu près impossible de la résoudre, faute de données d'aucune sorte. Photius dit que les homélies prononcées à Constantinople sont moins soignées que les autres; mais c'est là, on le comprend facilement, une règle trop générale et trop vague pour être sûre et infaillible. Saint Chrysostome combat souvent les marcionites, nous l'avons vu. Ici encore, dans la dernière homélie, il rapporte un argument; qu’un homme de cette secte lui avait opposé, et il en donne une remarquable réfutation.
ARGUMENT.
Il faut d'abord dire quel est le sujet de cette épître , et quelles questions s'y rapportent. Quel en est donc le sujet? Philémon était un homme noble et distingué. Qu'il ait été distingué, voici un fait qui le prouve, c'est que, toute sa maison était fidèle et qu'elle était même appelée une église. C'est pourquoi saint Paul écrit ces mots : « Et à l'église qui est en ta maison ». Il témoigne encore qu'on lui accordait une grande obéissance, il ajoute : « Tu as réjoui les entrailles des saints ». De plus il l'avertit, dans cette même épître, qu'il doit lui préparer un logement. Il me, semble donc pour toute sorte de raisons que sa maison était l'asile. des saints. Cet homme si distingué avait un esclave du nom d'Onésime. Celui-ci, après avoir dérobé quelque chose à son maître, s'était sauvé. Son larcin nous est attesté par ces paroles : « S'il t'a fait quelque tort, ou s'il te doit quelque chose, je te le payerai ». Comme il était venu à Rome vers saint Paul, qu'il l'avait trouvé dans les fers et qu'il avait entendu son enseignement, il y reçut le baptême. Ce qui prouve qu'il ya reçu le don du baptême, ce sont ces mots : « Onésime que j'ai engendré dans mes liens ». (Philém. 2, 7 , 18 ; 10.) L'apôtre écrit donc pour le recommander à son maître, afin que, pour toutes ces raisons, celui-ci ne lui fit subir aucun châtiment et qu'il le reprît comme un homme régénéré.
Mais quelques-uns prétendent qu'il était inutile d'insérer cette épître dans les saintes Ecritures, comme traitant un trop minée sujet et ne concernant qu'un seul homme. Qu'ils sachent, ceux qui font ces reproches, qu'ils sachent qu'ils se rendent eux-mêmes dignes de mille reproches. Car, non-seulement il fallait insérer une si petite lettre écrite sur un sujet si intime, mais bien plus puissions-nous trouver quelqu'un qui nous donne l'histoire des apôtres je ne dis pas sur ce qu'ils ont dit ou écrit, mais, encore sur toute leur manière de vivre.; qui nous apprenne ce qu'ils ont mangé et quand ils mangeaient, quand ils sont restés dans les villes, quand ils ont voyagé, ce qu'ils ont fait chaque jour, au milieu de quels hommes ils se sont trouvés, dans quelle maison ils sont entrés; qui enfin nous raconte exactement toute leur vie dans ses moindres détails, tant toutes leurs, actions. sont pleines d'enseignements utiles pour nous ! Mais parce que beaucoup ne comprennent pas l'utilité qu'on peut retirer de là, ils se mettent à blâmer cette épître. Cependant, lorsque nous voyons seulement les lieux où ils ont vécu, où ils ont été enchaînés, bien que ces lieux soient inanimés, nous arrêtons souvent notre pensée sur eux, (137) nous nous représentons leur vertu, et ainsi nous nous sentons encouragés, nous avons plus d'ardeur. Combien donc cet effet ne serait-il pas plus grand si nous entendions rapporter leurs paroles et toutes leurs actions ! Est-ce qu'on ne s'informe pas d'un ami, pour savoir où il vit, ce qu'il fait, où il va? et cela, dites-moi, il ne faudrait pas le savoir, lorsqu'il s'agit des docteurs qui ont enseigné toute la terre ! Lorsque quelqu'un vit de la vraie vie de la foi, sa tenue, sa démarche, ses paroles, ses actions, tout en lui est utile à ceux qui en entendent parler, et il n'y a aucun inconvénient à tout savoir.
Maintenant il est bon de vous apprendre pourquoi dans cette épître il est traité d'un sujet tout domestique. Voyez donc combien d'excellents enseignements nous sont donnés par là. L'un, et le premier de tous, c'est que nous devons être diligents sur toutes choses. Si en effet saint Paul a tant de sollicitude pour un fugitif, un larron, un voleur; s'il ne craint pas, s'il ne rougit pas de le renvoyer à son maître avec tant d'éloges, il nous convient bien moins encore d'être négligents dans des circonstances semblables. Le second enseignement, c'est qu'il ne faut pas désespérer dés esclaves, même lorsqu'ils en sont arrivés à une extrême perversité. Or, si ce fugitif, ce voleur est devenu assez honnête pour que Paul voulût en faire son compagnon, et qu'il écrivît ceci : « Afin qu'il me servît à ta place », nous devons désespérer bien moins encore des hommes libres. Le troisième enseignement, c'est qu'il n'est pas bien d'enlever aux maîtres leurs esclaves. Car si l'apôtre qui avait une telle confiance en Philémon, n'a pas voulu retenir sans l'aveu de son maître, Onésime qui pouvait lui rendre tant de services dans son ministère, il nous convient bien moins encore de faire ce qu'il n'a pas fait. Plus un esclave est vertueux et plus il est bon qu'il reste esclave, qu'il reconnaisse son maître afin qu'il soit utile à tous ceux qui sont dans la maison. Pourquoi ôter la lumière de dessus le chandelier pour la mettre sous le boisseau? Plût à Dieu qu'on pût faire rentrer dans les villes tous les fugitifs ! Mais quoi, dira-t-on, et s'il devenait mauvais? — Comment? dites-le-moi, je vous prie est-ce parce qu'il est entré dans la ville ? Mais pensez-y; s'il était dehors, il serait encore pire. Car celui qui étant dans la ville devient mauvais; deviendrait bien pire, s'il était hors des murs. En effet, au dedans il est libre de toute inquiétude sur son sort, c'est son maître qui a tous les soucis; mais au dehors, les soins qu'il devrait prendre pour pourvoir à sa nourriture l'écarteraient davantage de ses devoirs les plus nécessaires , les plus spirituels. C'est même pour cela que saint Paul, leur donnant un excellent conseil, leur dit : « Es-tu appelé à la foi étant esclave, rie t'en mets point en peine, mais quand même tu pourrais être mis en liberté, fais plutôt un bon usage de ton état » (I Cor. VII, 21), c'est-à-dire continue à être esclave. Car ce qu'il y a de plus nécessaire pour lui, c'est qu'il n'entende point blasphémer le nom de Dieu, comme le dit l'apôtre en ces termes : « Que tous les serviteurs, qui sont sous le joug, sachent qu'ils doivent à leurs maîtres toute sorte d'honneurs, afin qu'on ne blasphème point le nom de Dieu et sa doctrine ». (I Tim. VI,1.) Les gentils eux-mêmes devront dire qu'un esclave peut plaire à Dieu, sinon il faudra de toute nécessité qu'on blasphème et qu'on dise : Le christianisme a été introduit dans la vie pour tout renverser; si les esclaves sont enlevés à leurs maîtres, c'est là une grande violence. Que dirai-je de plus ? L'apôtre nous enseigne encore que nous ne devons pas rougir de vivre avec des esclaves, pourvu qu'ils soient honnêtes. Si en effet saint Paul, qui l'emportait sur tous les hommes, a dit tant de bien d'Onésime, à plus forte raison devons-nous agir comme lui. Puis donc qu'il y a dans cette épître tant d'utiles enseignements, bien que nous n'ayons pas encore tout dit, quelqu'un pourra-t-il croire qu'il. était superflu de la mettre air nombre des Ecritures sacrées? Un tel sentiment ne montrerait-il pas une extrême démence? Prêtons donc toute notre attention, je vous prise, à la' lettre écrite par l'apôtre. Déjà elle nous a été fort utile, elle le sera plus encore, si nous l'examinons de près.