VII - CEUX DE NITRIE
[1] Donc après m'être trouvé et avoir passé trois ans dans les monastères autour d'Alexandrie, avec des hommes excellents et très fervents, environ deux mille, m'en étant retourné de là, je vins à la montagne de Nitrie. Or entre cette montagne et Alexandrie est situé un lac qu'on appelle Maria, sur soixante-dix milles. L'ayant traversé en un jour et demi, je vins à la montagne sur la partie qui regarde le midi. [2] A cette montagne est adjacent le grand désert qui s'étend jusqu'à l'Ethiopie, aux Maziques et à la Maurétanie. Sur cette montagne habitent environ cinq mille hommes ayant des genres de vie différents, chacun comme il peut et comme il veut, de sorte qu'il est permis de demeurer seul, ou à deux, ou davantage. Sur cette montagne, il y a sept boulangeries, servant à la fois à ceux-là et aux anachorètes du grand désert qui sont six cents hommes. [3] Ayant donc séjourné sur cette montagne une année, ayant reçu beaucoup de services des bienheureux pères Arsisius le Grand, Putubaste, Asion, Cronius et Sérapion, et stimulé par eux au moyen de récits nombreux sur des pères, je pénétrai dans le désert le plus intérieur. Sur cette montagne de Nitrie est une grande église dans laquelle se dressent trois palmiers ayant chacun un fouet suspendu. L'un est à l'intention des solitaires qui commettent une faute, l'autre pour les voleurs, si du moins il en tombe par là, un autre pour ceux qui viennent par hasard. Ainsi tous ceux qui bronchent et qui sont convaincus comme méritant des coups embrassent le palmier et reçoivent sur le dos les coups réglementaires: alors on les délivre. [4] Puis à l'église est attenante une hôtellerie, dans laquelle on accueille l'étranger qui vient, jusqu'à ce qu'il s'en aille volontairement, tout le temps, quand même il demeurerait deux ou trois ans. Or après lui avoir concédé une semaine dans l'inactivité, les autres jours on l'attire à des travaux ou de jardin ou de boulangerie ou de cuisine. Mais s'il mérite de la considération, on lui donne un livre, sans lui permettre de s'entretenir avec personne avant l'heure. Sur cette montagne également vivent des médecins et des pâtissiers. Puis ils usent aussi de vin et Ion vend du vin. [5] D'un autre côté tous ces gens-là façonnent de leur mains du linge, de sorte que tous sont des personnes à qui rien ne manque. Et certes aussi vers l'heure de none, on peut se lever et écouter comment de chaque résidence les psalmodies s'échappent, en sorte qu'on croit être élevé dans le paradis. Quant à l'église, on l'occupe seulement le samedi et le dimanche. Huit prêtres desservent cette église où, tant que vit le prêtre qui est le premier, aucun autre ne célèbre, ne prêche, ne décide; mais ils ne font que siéger auprès de lui sans dire mot.
[6] Cet Arsisius et beaucoup d'autres vieillards avec lui, que nous avons vus, furent contemporains du bienheureux Antoine. Parmi eux on me racontait avoir connu Amoun le Nitriote dont Antoine aperçut l'âme emportée et guidée par les anges. Lui me disait également avoir connu Pakhôme le Tabennésiote, homme ayant don de prophétie et archimandrite de trois mille hommes, duquel je parlerai plus tard.