XVII – MACAIRE D'ÉGYPTE
[1] Les événements qui concernent les deux Macaires, les hommes fameux, étant nombreux, grandioses et difficiles à croire, j'hésite à les dire et à les écrire, de peur d'encourir la réputation de menteur. D'autre part, « que le Seigneur fasse périr ceux qui disent le mensonge » (Ps. 5, 7), l'Esprit-Saint l'a déclaré. C'est pourquoi, ô très croyant, puisque je ne mens pas, ne sois pas incrédule. L'un de ces Macaires était Egyptien d'origine, l'autre était Alexandrin, vendant des friandises.
[2] Et d'abord je ferai mon récit sur l'Egyptien, qui vécut quatre-vingt-dix ans pleins. Il a fait soixante ans dans le désert, y étant monté dans sa jeunesse, à trente ans ; et il fut jugé digne d'un tel discernement qu'on l'appelait paidariogèrôn (vieillard sous les apparences d'un enfant). Conséquemment aussi il fit des progrès plus vite. Parvenu en effet à l'âge de quarante ans, il reçut contre des esprits une grâce de guérisons et de prédictions; et il fut jugé digne aussi du sacerdoce.
[3] Avec lui étaient deux disciples pour le désert le plus intérieur, celui qu'on appelle Scété ; l'un d'eux était à son service près de lui. à cause de ceux qui venaient pour cire guéris, et l'autre vaquait dans une cellule très proche. Or comme le temps avait fait des progrès, ayant vu dans l'avenir d'un œil perspicace, il dit à celui qui le servait, appelé Jean, devenu prêtre plus tard à la place de Macaire lui-même : « Ecoute-moi, frère Jean, et supporte mon avertissement. car tu es tenté et c'est l'esprit d'avarice qui te tente. [4] En effet, j'ai vu ainsi; cet je sais que si tu me supportes, lu deviendras accompli en ce lieu-ci, et tu seras glorifié « et un fouet ne s'approchera pas dans ta tente » (Ps. 90, 10). Mais si tu ne m'écoutes pas, la fin de Giézi viendra sur toi, et même tu es malade de sa passion. » Or il lui arriva de désobéir après la mort de Macaire, au bout de quinze ou vingt autres années, et ainsi, avant détourné les biens des pauvres, il eut une telle éléphantiasis qu'il ne se trouva pas sur son corps un endroit intact où fixer le doigt. Telle est donc la prophétie du saint Macaire.
[5] D'un côté il est superflu de parler d'aliment et de boisson, alors que pas même chez les indolents il n'est possible de trouver de la gloutonnerie ou de l'indifférence en ces endroits-là, tant à cause de la rareté des choses nécessaires qu'à cause du zèle de ceux qui y habitent. D'un autre côté, sur le reste de son ascèse, je dis : c'est qu'on disait qu'il était sans cesse ravi hors de lui et s'occupait un temps bien plus considérable de Dieu que des choses sous le ciel. Et de lui on rapporte des miracles comme ceux-ci.
[6] Un homme d'Egypte amouraché d'une femme libre en puissance de mari et ne pouvant l'enjôler, s'aboucha avec un magicien et lui dit : « Amène-la à m'aimer ou fais quelque chose pour que son mari la rejette. » Et le magicien, ayant reçu suffisamment, usa de sortilèges magiques et il l'arrange pour qu'elle ressemble à une jument. Donc le mari qui venait du dehors l'ayant vue, trouvait étrange que dans son grabat une jument était couchée. Le mari pleure, se lamente: il engage une conversation avec l'animal ; il n'obtient pas de réponse. Il mande les prêtres du village. [7] Il introduit, il montre; il ne découvre pas l'affaire. Pendant trois jours, elle ne prit sa part ni de fourrage comme une jument, ni de pain comme un être humain, restant privée des deux genres de nourriture. Enfin, pour que Dieu fût glorifié et que parût la vertu du saint Macaire, il monta au cœur de son mari de la conduire dans le désert, et lui ayant mis un licou comme à un cheval, il la conduisit ainsi dans le désert. Or, au moment où ils approchaient, les frères s'étaient arrêtes près de la cella de Macaire, luttant contre le mari de celle-là et disant : [8] « Pourquoi as-tu amené ici cette jument? » Il leur dit : « Pour qu'elle soit prise en pitié. » Ils lui disent : « Qu'a-t-elle donc ». Son mari leur répondit ceci : « C'était ma femme et elle a été changée en cheval, et aujourd'hui c'est le troisième jour qu'elle passe sans avoir goûté à quelque chose. » Ils font rapport au saint qui était en prière à l'intérieur; car Dieu lui avait fait une révélation, et il priait pour elle. Le saint Macaire répondit donc aux frères et il leur dit : « C'est vous qui êtes des chevaux, qui avez les yeux des chevaux. [9] En effet celle-ci est une femme, non métamorphosée, si ce n'est uniquement aux yeux de ceux qui ont été trompés. » Et ayant béni de l'eau, et l'ayant versée à partir de la tête sur elle nue, il ajouta une prière ; et sur-le-champ il la fit paraître femme à tous. Puis lui ayant donné de la nourriture, il la fit manger et il la congédia, rendant grâce avec son propre mari, au Seigneur. Et il lui suggéra en lui disant : Ne sois jamais éloignée de l'église, ne t'abstiens jamais de la communion, car cela t'est arrivé pour ne t'être pas approchée des mystères pendant cinq semaines. »
[10] Autre pratique de son ascèse. Ayant fait sous la terre, grâce à la longueur du temps, une galerie depuis sa cella jusqu'à un demi-stade, il acheva une petite grotte au bout. Et si parfois trop de gens l’importunaient, sortant furtivement de sa cella, il parlait à la petite grotte et personne ne le trouvait. Quoi qu'il en soit, un de ses fervents disciples nous racontait et nous disait qu'en allant jusqu'à la petite grotte, il faisait vingt-quatre prières, et vingt-quatre en revenant.
[11] Sur lui le bruit se répandit qu'il réveilla un mort, afin de convaincre un hérétique qui n'avouait pas qu'il y a résurrection des corps. Et ce bruit régnait dans le désert.
Un jeune homme démoniaque lui fut apporté un jour par sa mère éplorée : il avait été lié à deux jeunes hommes. Et le démon avait cette énergie-ci: après avoir mangé les pains de trois boisseaux et bu un cilicisium d'eau, les vomissant, il résolvait les aliments en vapeur; car les choses mangées et bues étaient consumées tout comme par du feu. [12] Il existe en effet aussi une classe [de démons], celle qu'on nomme ignée. C'est qu'il va des différences parmi les démons, comme aussi parmi les hommes, non pas de nature, mais de caractère.
Or donc ce jeune homme n'ayant pas sa suffisance du côté de sa propre mère mangeait ses excréments à lui ; souvent même il buvait sa propre urine. Cela étant, comme sa mère pleurait et invoquait le saint, l'ayant reçu il pria pour lui en suppliant Dieu. Et après un ou deux jours le mal ayant commencé à se calmer, le saint Macaire dit à celle-là : [13] « Combien veux-tu qu'il mange? » Et elle répondit en disant : « Dix livres de pain. » L'ayant alors reprise parce que c'était beaucoup, après avoir prié pour lui avec jeûne pendant sept jours, il l’établit à trois livres, avec obligation aussi de travailler ; et l'ayant guéri de la sorte, il le rendit à sa mère. Et voilà le miracle que Dieu a fait par Macaire. Avec celui-ci, moi, je ne me suis pas rencontré; car un an avant mon entrée au désert, il était mort.