XXIII - PAKHON
[1] Un nommé Pakhon, parvenu aux environs de la soixante-dixième année, était établi en Scété. Et il arriva qu'importuné par un désir de femme, j'étais dans le malaise à propos de mes idées et de mes imaginations la nuit. Or étant près de m'en aller du désert, la passion me poussant, je ne soumis pas la chose à mes voisins ni à mon maître Evagre, mais m'étant rendu en cachette dans le grand désert, je me rencontrais pendant quinze jours avec les pères, qui avaient vieilli en Scété dans la solitude. [2] Parmi eux, je rencontrai aussi Pakhon. L'avant trouvé en fait plus intègre et plus versé dans l'ascétisme, je pris la hardiesse de lui soumettre l'état de ma pensée. Et il me dit : « Que la chose ne te déconcerte pas, car lu ne l'éprouves point par la suite de négligence. En effet, la région témoigne en ta faveur, à cause de la rareté des choses nécessaires et de l'absence de rencontres avec des femelles; mais cela est plutôt une conséquence de la ferveur. C'est que la guerre de l'impureté est triple. Tantôt en effet la chair nous assaille, parce qu'elle est bien portante ; tantôt les passions, au moyen des idées ; tant que le démon lui-même, par jalousie. Pour moi, qui ai observé beaucoup, j'ai trouvé ceci. [3] Comme lu le vois, me voici un homme clans la vieillesse; c'est la quarantième année que je passe dans cette cella en songeant à mon salut. Et tout en amenant cet âge jusqu'ici, je suis tenté. » Et alors il affirmait avec serment ceci : « Pendant douze ans après ma cinquantième année, Il (le démon) ne m'a pas accordé une nuit ni un jour sans m'attaquer. C'est pourquoi, ayant supposé que Dieu s'était retiré de moi et que c'est pour cela que j'avais le dessous, je préférai malgré toute raison mourir que de manquer à la décence pour une passion du corps. Et étant sorti et ayant marché de-çà et de-là dans le désert, je trouvai la caverne d'une hyène. Dans cette caverne je me plaçai nu pendant le jour, afin que les bêles en sortant me dévorassent. [4] Lorsque le soir fut donc venu, selon l'Ecriture : « Tu as posé les ténèbres et la nuit a été faite. En elle toutes les bêtes de la forêt iront de côté et d'autre » (Ps. 103, 20), les bêtes sauvages, le mâle et la femelle, étant sorties, me flairèrent depuis la tête jusqu'aux pieds, me léchèrent et, lorsque je m'attendais à être dévoré s'éloignèrent de moi. Conséquemment, m'étant tenu affaissé pendant toute la nuit, je ne fus pas dévoré. Puis ayant réfléchi que Dieu m'avait pardonné, de nouveau je retourne en ma cella. Alors, après s'être contenu quelques jours, le démon m'assaillit encore plus violemment qu'auparavant, au point que pour un peu j'aurais blasphémé. [5]
S’étant donc transformé on une jeune fille éthiopienne, qu'autrefois dans ma jeunesse j'avais vue glanant en été, elle s'assit sur mes genoux et m'excita au point que je crus avoir commerce avec elle. Cela étant, plein de fureur, je lui donnai un soufflet et elle devint invisible. Or pondant un espace de deux ans, je ne pouvais supporter la mauvaise odeur de ma main. Etant réellement devenu découragé et désespéré, je sortis errant çà et là dans le grand désert. Et ayant trouve un petit aspic et l'ayant pris, je le porte à mes parties génitales, afin que je mourusse, quand même je fusse mordu d'une pareille façon. Et ayant écrasé la tète de la bêle contre les parties, en quelque sorte causes pour moi de la tentation, je ne fus pas mordu. [6] Alors j'entendis venir dans mon esprit une voix comme ceci : « Va-t'en. Pakhon, lutte. Car c'est pour ceci que je t'ai laissé avoir le dessous, afin que tu ne t'enorgueillisses pas, comme si tu étais puissant, mais qu'ayant parfaitement connu ta faiblesse, tu ne mettes pas la confiance dans ta manière de vivre, mais que tu recoures à l'assistance de Dieu. » Ainsi convaincu, je rebroussai chemin et m'étant installé avec confiance et ne m'étant plus soucié de cette guerre, je passai en paix le reste de mes jours. L'Autre, ayant connu mon mépris, ne s'est plus approché de moi. »