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De Anima
XLVI.
[1] Ecce rursus urgemur etiam de ipsorum somniorum retractatu quibus anima iactatur exprimere. Et quando perueniemus ad mortem? Et hic dixerim: cum deus dederit; nullae longae morae eius quod eueniet. [2] Vana in totum somnia Epicurus iudicauit liberans a negotiis diuinitatem et dissoluens ordinem rerum et in passiuitate omnia spargens, ut euentui exposita et fortuita. Porro si ita est, ergo erit aliquis et ueritatis euentus, quia non capit solam eam euentui omnibus debito eximi. Homerus duas portas diuisit somniis, corneam ueritatis, fallaciae eburneam; respicere est enim, inquiunt, per cornu, ebur autem caecum est. [3] Aristoteles maiorem partem mendacio reputans agnoscit et uerum. Telmessenses nulla somnia euacuant, imbecillitatem coniectationis incusant. Quis autem tam extraneus humanitatis, ut non aliquam aliquando uisionem fidelem senserit? Pauca de insignioribus perstringens Epicuro pudorem imperabo. [4] Astyages Medorum regnator quod filiae Mandanae adhuc uirginis uesicam in diluuionem Asiae fluxisse somnio uiderit, Herodotus refert; item anno post nuptias eius ex isdem locis uitem exortam toti Asiae incubasse. Hoc etiam Charon Lampsacenus Herodoto prior tradit. Qui filium eius tanto operi interpretati sunt, non fefellerunt, siquidem Asiam Cyrus et mersit et pressit. [5] Philippus Macedo nondum pater Olympiadis uxoris naturam obsignasse uiderat anulo: leo erat signum; crediderat praeclusam genituram, opinor, quia leo semel pater est. Aristodemus uel Aristophon coniectans immo nihil uacuum obsignari, filium, et quidem maximi impetus, portendi. Alexandrum qui sciunt, leonem anuli recognoscunt. Ephorus scribit. [6] Sed et Dionysii Siciliae tyrannidem Himeraea quaedam somniauit. Heraclides prodidit. Et Seleuco regnum Asiae Laodice mater nondum eum enixa praeuidit. Euphorion promulgauit. Mithridaten quoque ex somnio Ponti potitum a Strabone cognosco, et Baraliren Illyricum a Molossis usque Macedoniam ex somnio dominatum de Callisthene disco. [7] Nouerunt et Romani ueritatis huiusmodi somnia. Reformatorem imperii, puerulum adhuc et priuatum loci, et Iulium Octauium tantum et sibi ignotum Marcus Tullius iam et Augustum et ciuilium turbinum sepultorem de somnio norat. In Vitelliis commentariis conditum est. [8] Nec haec sola species erit summarum praedicatrix potestatum, sed et periculorum et exitiorum: ut cum Caesar in praelio perduellium Bruti et Cassii Philippis aeger, alias maius tamen discrimen ab hostibus relaturus, de Artorii uisione destituto tabernaculo euadit; ut cum Polycrati Samio filia crucem prospicit de solis unguine et lauacro Iouis. [9] Reuelantur et honores et ingenia per quietem, praestantur et medellae, produntur et furta, conferuntur et thesauri. Ciceronis denique dignitatem paruuli etiamnunc gerula iam sua inspexerat. Cycnus de sinu Socratis demulcens homines discipulus Plato est. Leonymus pyctes ab Achille curatur in somniis. Coronam auream cum ex arce Athenae perdidissent, Sophocles tragicus somniando redinuenit. Neoptolemus tragoedus apud Rhoeteum Troiae sepulcrum Aiacis monitus in somnis ab ipso ruina liberat, et cum lapidum senia deponit, diues inde auro redit. [10] Quanti autem commentatores et affirmatores in hanc rem? Artemon Antiphon Strato Philochorus Epicharmus Serapion Cratippus Dionysius Rhodius Hermippus, tota saeculi litteratura. Solum, si forte, ridebo qui se existimauit persuasurum, quod prior omnibus Saturnus somniarit, nisi si et prior omnibus uixit. Aristoteles, ignosce ridenti. [11] Ceterum Epicharmus etiam summum apicem inter diuinationes somniis extulit cum Philochoro Atheniensi. Nam et oraculis hoc genus stipatus est orbis, ut Amphiarai apud Oropum, Amphilochi apud Mallum, Sarpedonis in Troade, Trophonii in Boeotia, Mopsi in Cilicia, Hermionae in Macedonia, Pasiphaae in Laconica. Cetera cum suis et originibus et ritibus et relatoribus, cum omni deinceps historia somniorum, Hermippus Berytensis quinione uoluminum satiatissime exhibebit. Sed et Stoici deum malunt prouidentissimum humanae institutioni inter cetera praesidia diuinatricum artium et disciplinarum somnia quoque magis indidisse, peculiare solacium naturalis oraculi. [12] Haec quantum ad fidem somniorum a nobis quoque consignandam et aliter interpretandam. Nam de oraculis etiam ceteris, apud quae nemo dormitat, quid aliud pronuntiabimus quam daemonicam esse rationem eorum spirituum qui iam tunc in ipsis hominibus habitauerint uel memorias eorum affectauerint ad omnem malitiae suae scenam, in ista aeque specie diuinitatem mentientes eademque industria etiam per beneficia fallentes medicinarum et admonitionum, praenuntiationum, quo magis laedant iuuando, dum per ea quae iuuant ab inquisitione uerae diuinitatis abducunt ex insinuatione falsae? [13] Et utique non clausa uis est nec sacrariorum circumscribitur terminis; uaga et peruolatica et interim libera est. Quo nemo dubitauerit domus quoque daemoniis patere nec tantum in adytis, sed in cubiculis homines imaginibus circumueniri.
Übersetzung
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De l'âme
XLVI.
Voilà que nous sommes contraints de discuter la nature des songes eux-mêmes par lesquels l'âme est mise en mouvement. Et quand parviendrons-nous à la mort? Ici, je répondrai quand Dieu le permettra. Ce qui doit arriver ne se fait pas attendre longtemps.
Epicure, en débarrassant la divinité de tout soin, en détruisant le plan de l'univers, et en livrant ce monde complètement passif au hasard et à la fortune, a jugé que les songes étaient absolument vains. Or, s'il en est ainsi, la |91 vérité sera sujette aux vicissitudes, parce que je n'admets pas, que tout étant livré nécessairement au hasard, la vérité seule en soit affranchie. Homère assigne deux portes aux songes: la porte de corne, pour la vérité; la porte d'ivoire, pour le mensonge. On peut apercevoir, dit-on, à travers la corne, tandis que l'ivoire n'est pas transparent. Aristote, renchérissant sur ce mensonge, reconnaît cette opinion pour vraie. Les habitants de Telmesse1 attachent un sens à tous les songes: s'ils ne l'entrevoient pas, ils accusent la faiblesse de leur pénétration. Or, quel est l'homme assez étranger à l'humanité pour n'avoir pas reconnu quelquefois la fidélité de telle ou telle vision? Je veux faire rougir Epicure, en ne disant qu'un mot des plus connus. Suivant Hérodote, Astyage, roi des Mèdes, vit en songe un fleuve sortir du sein de Mandane, sa fille, encore vierge, et inonder toute l'Asie. De même, dans l'année qui suivit le mariage de Mandane, il vit encore une vigne sortie du même lieu, ombrager toute l'Asie. Charon de Lampsaque rapporta ce fait avant Hérodote. Les devins, qui en conclurent que son fils était destiné à un grand œuvre, ne le trompèrent pas. Cyrus, en effet, inonda et opprima l'Asie. Philippe le Macédonien, avant d'être père, avait vu le sein d'Olympiade, son épouse, fermé par un anneau. Le sceau était un lion; il en avait auguré que toute postérité lui était interdite, parce que le lion, j'imagine, n'est père qu'une fois. Aristodème, ou bien Aristophon, conjecturant que rien de vide n'est scellé, lui annonça que c'était le présage d'un fils, et même d'un grand conquérant. Tous ceux qui savent ce que fut Alexandre, reconnaissent, dit Ephore, le lion de l'anneau. Il y a mieux, une femme d'Himéra2 vit en songe la tyrannie que Denys devait faire peser sur la Sicile: ainsi le raconte Héraclide. Laodice, mère de Séleucus, prévit qu'il régnerait sur l'Asie, avant de lui avoir donné le jour. C'est Euphorien qui le publia. |92 Je lis aussi dans Strabon que ce fut en vertu d'un songe que Mithridate s'empara du Pont. J'apprends de Callisthène que l'Illyrien Balaris étendit sa domination depuis les Molosses jusqu'à la Macédoine, à la suite d'un songe.
Les Romains, eux aussi, connurent la vérité des songes. Un songe avait montré à Cicéron, dans un jeune enfant que n'environnait aucun honneur, qui n'était encore que Jules Octave, et inconnu à lui-même, le restaurateur de l'empire, et le futur Auguste qui apaiserait les tempêtes civiles. Ce songe est consigné dans la vie de Vitellius3.
Mais le songe, ne se bornant point à prédire l'élévation et la puissance, annonce encore les périls et les catastrophes. Ainsi, Auguste, malade à la journée de Philippes, échappa au poignard de Brutus et de Cassius, et ensuite à un danger encore plus imminent, en abandonnant sa tente, sur une vision d'Artorius4.
Ainsi la fille de Polycrate, de Samos, l'ayant vu en songe, baigné par Jupiter, et parfumé par le soleil, prévit qu'il périrait sur la croix. Le sommeil révèle encore les honneurs et les talents; il découvre les remèdes; il dénonce les vols; il indique les trésors. La nourrice de Cicéron augura sa grandeur future, même dès son berceau. Le cygne qui s'envole du sein de Socrate, en charmant l'oreille des hommes, c'est Platon, son disciple. L'athlète Cléonyme est guéri pendant son sommeil par Achille. Sophocle le tragique retrouve dans un songe |93 la couronne d'or qui avait été dérobée à la citadelle d'Athènes. L'acteur tragique Néoptolème, averti en songe par Ajax lui-même, sauve de la destruction le tombeau de ce guerrier, sur le rivage de Rhétée, devant Troies; et, en relevant ces pierres qui tombaient en ruines, il revient chargé d'or. Que de commentateurs, que d'historiens pour affirmer cette circonstance! Artémon, Antiphon, Straton, Philochorus, Epicharme, Sérapion, Cratippe, Denys de Rhodes, Hermippe, toute la littérature du siècle. Seulement, je rirai ou jamais de celui qui a cru pouvoir nous persuader que Saturne est le premier qui ait rêvé, à moins qu'Aristote aussi ne soit le premier qui ait vécu. Pardonnez-moi de rire. Au reste, Epicharme, avec Philochorus l'Athénien, assigne aux songes le premier rang entre toutes les divinations. L'univers, en effet, est rempli d'oracles de cette nature, tels que celui d'Amphiaraüs à Orope, d'Amphiloque à Mallé, de Sarpédon dans la Troade, de Trophonius dans la Béotie, de Mopsus en Sicile, d'Hermione en Macédoine, de Pasiphaé en Laconie. Hermippe de Béryte te racontera avec satiété, dans cinq volumes, tous les autres oracles, avec leurs origines, leurs rites, leurs historiens, et ensuite toute l'histoire des songes. Mais les stoïciens aiment mieux dire que Dieu, veillant sur l'humanité, qui est son œuvre, outre le secours des arts et des sciences divinatoires, nous donna aussi les songes comme l'assistance particulière d'un oracle naturel.
Voilà sur les songes la vérité telle que nous devons la consigner nous aussi, et avec son interprétation. Quant aux autres oracles où il n'est pas question de sommeil, qu'en dirons-nous, sinon qu'il faut les attribuer à la fourberie démoniaque de ces esprits qui habitaient alors dans ces hommes eux-mêmes ou qui ressuscitèrent leurs mémoires, pour établir le théâtre de leur malice, se donnant là encore pour des dieux, et trompant à dessein les hommes par leurs remèdes, par leurs avertissements, par leurs prédictions, bienfaits qui tuent en secourant, puisqu'ils |94 n'ont d'autre but en secourant que de détourner l'esprit de la recherche du Dieu véritable, en lui insinuant un dieu mensonger? Conséquemment leur puissance n'est ni contenue ni circonscrite dans les murailles d'un sanctuaire. Elle se répand au-dehors, circule çà et là, et par intervalles elle est libre, afin que personne ne doute que les maisons elles-mêmes sont aux démons, et qu'ils assiègent les hommes de leurs illusions, non-seulement dans les temples, mais jusque dans les lieux les plus secrets.
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Ville de Carie. ↩
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Ville de Sicile. ↩
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Suétone. ---- Plutarque, Vie de Cicéron. ---- Cicéron, dans sa lettre à Octave. ↩
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Voyez Plutarque, Vie de Brutus. ---- Suétone, Vie de César. ---- Lactance raconte aussi le fait: Illud, inquit, somnium non fuit minoris admirationis quo Caesar Augustus dicitur esse senatus. Nam cum bello civili Brutiano implicitus, gravi morbo abstinere proelio statuisset, medico ejus Artorio Minervae species observata est, monens ne propter corporis imbecillitatem castris se continent Caesar. Itaque in aciem tecticâ perlatus est et eadem die castra à Bruto capta sunt. ↩