23.
Tu dis que dans la philosophie il n'y a rien qu'on puisse connaître, et pour donner plus d'étendue à tes discours, tu t'empares des querelles et des dissidences des philosophes et tu penses t'en servir comme d'armes contre eux. Quel moyen, en effet, de décider entre Démocrite et les anciens physiciens, sur la question de savoir s'il n'y a qu'un seul monde et sur d'autres questions sans nombre, puisque Démocrite, lui-même, n'a pu s'entendre avec Epicure, son héritier. Car lorsque ce voluptueux personnage permettait aux atômes, comme à une multitude infinie de petits serviteurs, c'est-à-dire à tous ces petits corps qu'il embrasse avec tant de plaisir dans les ténèbres, de ne passe tenir dans leurs voies et d'empiéter, à leur fantaisie, sur le terrain d'autrui, il ne pouvait manquer de dissiper son patrimoine en procès.
Mais cela ne me regarde en rien, sans doute; s'il appartient à la sagesse de savoir quelque chose là-dessus, le sage ne saurait l'ignorer; cela ne peut pas être caché au sage. Mais si la sagesse est. autre chose, le sage la connaît et méprise le reste. Pour moi, qui suis encore loin d'approcher même de la sagesse, je connais quelque peu ces matières de physique. Je suis certain, en effet, ou qu'il n'y a qu'un monde ou qu'il n'y en a pas qu'un seul; s'il y en a plusieurs, le nombre en est fini ou infini. Comment Carnéade rue fera-t-il voir que ce sentiment ressemble à la fausseté? Je sais de plus que ce monde que nous habitons est ainsi disposé ou par la nature même des corps ou par quelque providence, qu'il a toujours été et sera toujours, ou qu'il a commencé sans devoir jamais finir, ou que, n'ayant point commencé avec le temps, il finira avec le temps, ou qu'ayant eu un commencement, il aura aussi une fin, et j'ai d'innombrables connaissances physiques de cette espèce. Car les vérités sont des dilemmes véritables, et personne ne peut les confondre, à l'aide de quelque ressemblance avec la fausseté. — Adopte un sentiment, dit l'académicien. Je ne veux pas, car c'est dire : Abandonne ce que tu sais, dis ce que tu ne sais pas. Nais de cette manière l'opinion reste suspendue? Il vaut mieux la laisser suspendue que de la laisser tomber, puisqu'elle est claire et qu'on peut dire, sans se tromper, quelle est vraie ou faussé. C'est là ce que je rie vante de savoir. Toi qui ne peux nier que ces questions appartiennent à la philosophie, et qui soutiens qu'on n'en peut avoir aucune connaissance, montre-moi que je ne les sais pas : dis que ces dilemmes sont faux, ou qu'ils ont avec le faux quelque chose de commun, qui empêche qu'on ne puisse en faire un juste discernement.