6.
En vérité, dit-il, je croyais que nous étions arrivés à la fin de la discussion ; mais quand tout à coup tu m'as tendu la main , je me suis aperçu que nous n'en étions pas encore là, tant s'en tillait : c'est-à-dire qu'hier nous n'avions posé d'autre question que celle de savoir si le sage pouvait arriver à la connaissance de la vérité : tu le soutenais et je le niais. Or je crois que tout ce que je t'ai accordé aujourd'hui c'est qu'il peut sembler au sage que la sagesse acquise par lui consiste uniquement dans la connaissance des choses probables: toutefois, je crois que personne de nous n'en doute, j'ai établi cette sagesse dans la recherche des choses divines et humaines. — Ce ne sera pas, lui dis-je, en embrouillant la question que tu te débarrasseras. Il semble que tu ne discutes plus que pour t'exercer. Et comme tu sais bien que ces jeunes gens peuvent à peine distinguer ce qui se dit ici de subtil et d'ingénieux, tu abuses de l'ignorance de nos juges, et, personne ne s'opposant à ce que tu avances , tu pourras parler autant qu'il te plaira. Je t'avais de man dé, un peu auparavant, si le sage connaissait la sagesse, tu as répondu qu'il lui semblait la connaître. Or croire que le sage connaît la sagesse, ce n'est certes pas croire que le sage ne son naît rien : c'est incontestable, à moins d'oser dire que la sagesse n'est rien. D'où il suit que tu penses enfin comme moi. En effet il me semble à moi que le sage connaît quelque chose; tu le crois également, si je ne me trompe, car le sage, d'après ton propre sentiment, croit qu'il connaît la sagesse.
Je ne crois pas , dit alors Alype, que j'aie plus envie que toi de m'exercer: et je m'étonne, de ce que tu as dit, car sur ce point tu n'as pas besoin d'exercice. Peut-être suis-je encore aveugle, mais il me semble qu'il y a de la différence entre croire savoir et savoir réellement: entre la sagesse qui consiste dans la recherche de la vérité et la vérité même. Tu prétends le contraire de ce que je soutiens : je ne sais donc pas comment nous sommes du même avis. Je lui répondis alors (on nous appelait pour dîner) : Je ne suis pas mécontent que tu me résistes ainsi, car ou bien nous ne savons l'un et l'autre ce que nous disons, et alors il faut nous efforcer de sortir de cette honte; ou bien, un de nous au moins ne sait ce qu'il dit, et alors il n'est pas moins honteux de rester négligemment dans cette situation. Mais dans l'après-midi, nous reviendrons à la charge, car au moment où je croyais que nous étions arrivés au terme de notre discussion, tu m'as attaqué à coups de poing. A ces mots, on se mit à rire et nous nous en allâmes.