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Si, pour arriver à ce port de la philosophie qui mène l'homme au séjour et sur le sol de la vie bienheureuse , nous n'avions pour guides que notre raison et notre volonté, peut-être ne m'avancerais-je pas trop en te disant, ô noble coeur et grand esprit, Théodore, que bien moins d'hommes encore qu'à présent y parviendraient. Et pourtant aujourd'hui même, nous le voyons, qu'ils sont rares et peu nombreux ceux qui y parviennent. Puisque c'est Dieu, ou la nature, ou la nécessité, ou notre volonté, ou la réunion de quelques-unes de ces causes, ou le concours de toutes ces causes à la fois (grand mystère que tu as déjà entrepris de creuser), qui nous a jetés pour ainsi dire au hasard et çà et là sur la mer orageuse de ce monde, combien peu d'hommes pourraient savoir par eux-mêmes où il faut tendre, où il faut retourner sur ses pas, si parfois, malgré leurs désirs et leurs efforts, quelqu'une do ces tempêtes, que l'irréflexion appelle des malheurs , ne les poussait, dans leur course aveugle et vagabonde, vers ces bords tant désirés.