28.
L'indigence de l'âme, repris-je, n'est autre chose que la folie. La folie, en effet, est le contraire de lu sagesse, tout comme la mort est le contraire de la vie, tout comme le bonheur est le contraire du malheur. Entre ces divers états, il n'y a pas de milieu. Si tout homme qui n'est pas heureux est malheureux, [180] si tout homme qui n'est pas mort est vivant, tout homme aussi qui n'est pas fou est sage; la chose est évidente. Et nous voyons par là dès à présent que le malheur de Sergius Orata ne venait pas seulement de la crainte qu'il avait de perdre les dons de la fortune1, mais qu'il venait encore de sa folie. Il eût donc été plus malheureux encore, si, au milieu de ses prétendus biens si exposés, si chancelants, il eût été affranchi de toute crainte. Car la sécurité lui serait venue, non de la vigilance d'une âme forte, mais de l'engourdissement de son intelligence; et plongé dans une folie plus profonde, il eût été malheureux. Or, si tout homme qui manque de sagesse est en proie à une grande indigence , et si tout homme quia la sagesse en partage ne manque de rien, il s'ensuit que la folie est de l'indigence; or, comme tout insensé est malheureux, tout homme malheureux est insensé. Le malheur est donc toujours de l'indigence, comme l'indigence est toujours le malheur : voilà qui est démontré.
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C'est à peu près la doctrine d'Horace, dans l’épître VI du liv. 2. Quand l’homme désire, ou quand il craint, il n'est pas heureux : Capiat, metuatve, quid ad rem ? (Horace, liv. I, épit. VI, 5, 12.) ↩