XXXIX.
Augmentez-nous la foi 1. » — Ces paroles des disciples au Seigneur : « augmentez-nous la foi, » peuvent signifier, il est vrai, qu'ils demandent l'accroissement de la foi aux choses qu'on ne voit point; mais il y a aussi la foi qui s'appuie, non sur les paroles mais sur les choses elles-mêmes ; c'est ce qui se réalisera, quand la sagesse de Dieu, par qui toutes choses ont été faites 2, se révélera elle-même aux yeux des saints dans tout l'éclat de sa gloire. C'est sans doute de cette foi et de la lumière qui l'accompagne que parle l'Apôtre Paul, quand il dit: « La justice de Dieu est révélée dans l'Évangile par la foi et pour la foi 3. » En effet, le même Apôtre dit encore ailleurs : « Pour nous, contemplant sans avoir le visage voilé, comme dans un miroir, la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en la même image, nous avançant de gloire en gloire, comme par l'Esprit du Seigneur 4. » Il dit ici: « de gloire en gloire, » comme il a dit plus haut : « par la foi;» en d'autres termes, de même que 1 s croyants sont illuminés maintenant par lare de l'Évangile, pour arriver à la gloire de la vérité elle-même désormais immuable et sans voile, dont ils jouiront quand ils seront transformée ; de même, de la foi aux paroles, qui nous fait croire ce que nous ne voyons pas encore, nous passerons à la foi aux réalités, qui nous obtiendra pour l'éternité ce qui est maintenant l'objet de notre foi. Ici trouvent leur application ces paroles de saint Jean dans son Epître aux Parthes : « Mes bien-aimés, nous sommes à présent enfants de Dieu, mais ce que nous serons un jour, n'apparaît pas encore. Nous savons que quand il se montrera dans sa gloire, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu'il est 5. » D'où vient en effet que « nous sommes maintenant enfants de Dieu, » si ce n'est parce qu'il nous adonné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, en croyant en son nom 6, et pour que nous voyions comme en énigme 7 ? Et comment serons-nous alors semblables à Dieu, » si ce n'est parce que, suivant le texte sacré, « nous le verrons tel qu'il est ? » C'est ce que nous lisons aussi : « Mais alors ce sera face à face. »
Comme la plupart ne comprennent pas cette foi à la vérité devenue très-sensible, il. peut leur sembler que Notre-Seigneur n'a pas répondu à la prière formulée par, ses disciples. Car ils avaient dit: « Augmentez-nous la foi, » et il leur répond : « Si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, vous diriez à ce mûrier : Déracine-toi, et transplante-toi au milieu de la mer, et il vous obéirait. » Puis il ajoute : « Or, qui de vous, ayant un serviteur occupé à labourer ou à paître les troupeaux, lui dit, aussitôt qu'il est revenu des champs : Va te mettre à table ? Ne lui dit-il pas plutôt : « Prépare-moi à souper, ceins-toi et me sers jusqu'à ce que j'aië mangé et bu, et après tu mangeras et tu boiras. Et aura-t-il de la reconnaissance à ce serviteur d'avoir fait ce qu'il lui avait commandé ? Je ne le pense pas. « Ainsi, vous, lorsque vous aurez fait tout ce qui vous a été commandé, dites : Nous sommes des serviteurs inutiles; nous avons fait ce que nous avons dû faire. » On ne voit pas facilement le rapport qui existe entre ces paroles et la prière adressée au Seigneur: « Augmentez-nous la foi, » à moins de les entendre dans le sens de la foi pour la foi, » c'est-à-dire, que de la foi qui anime au service de Dieu on sera transporté dans cette foi où Dieu lui-même se donne en récompense. La foi trouvera en effet son accroissement, quand, après avoir cru à la parole de l'Évangile, on croira aux réalités rendues sensibles. Or cette contemplation procure le suprême repos, qui s'obtient dans le royaume éternel de Dieu ; et ce repos suprême est la récompense des saints labeurs, accomplis au service de l'Église. Aussi, quoique le serviteur laboure ou paisse les troupeaux dans les champs, en d'autres termes, quoiqu'il s'occupe aux travaux de la vie régulière ou terrestre, ou qu'il serve des hommes stupides comme des animaux, il est nécessaire qu'à la suite de ces travaux, il entre dans la maison, c'est-à-dire, dans l'Église; il faut aussi qu'il y serve son Maître jusqu'à ce qu'il ait pris son repas et bu, car, lui aussi, pressa par la faim, chercha des fruits sur un arbre 8, et pressé par la soif il demanda de l'eau à la Samaritaine 9 ; le Seigneur doit donc faire sa nourriture et son breuvage de la confession et de la foi des nations, et cette nourriture lui est présentée par ses serviteurs, je veux dire, parles prédicateurs de la foi.
Ce qu'il dit en premier lieu du grain de sénevé trouve aussi son application en cet endroit. Il faut avoir d'abord la foi nécessaire à la vie présente : elle parait très-petite, tant qu'elle est renfermée comme un trésor dans des vases d'argile ; mais elle s'échauffe et germe avec une force extraordinaire. Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui veut être nourri par le ministère de ses serviteurs, c'est-à-dire, transformer les croyants en son corps, après les avoir pour ainsi dire, immolés et mangés, les nourrit aussi maintenant de la parole de foi et du mystère de sa passion. Car il n'est pas venu pour être servi mais afin de servir 10. Animés d'une foi semblable au grain de sénevé, que ces serviteurs disent donc à ce mûrier, c'est-à-dire à cet Evangile de la Croix de Notre-Seigneur, à ce bois où ses blessures sont comme autant de fruits, empourprés de son sang, qui doivent nourrir les nations: qu'ils lui disent de se déraciner de la terre perfide des Juifs et d'aller se transplanter dans la mer des Gentils car, en servant ainsi le Seigneur dans sa maison, ils rassasieront sa faim et sa soif. Qu'ils cherchent enfin à jouir éternellement des fruits incorruptibles de la divine. Sagesse, après avoir dit : « Nous sommes des serviteurs inutiles ; nous avons fait ce que nous avons dû faire : » il ne nous reste plus rien à accomplir; nous avons achevé notre course, nous avons terminé notre combat, nous n'avons plus qu'à attendre la couronne 11. Car on peut tout dire de cette ineffable jouissance de la vérité, et d'autant plus qu'on ne peut jamais en parler assez dignement. Elle est la lumière après les ténèbres, le repos après la fatigue, la patrie au retour de l'exil, la nourriture de ceux qui ont faim, la couronne des vainqueurs ; et quels que soient les biens temporels et passagers, que les infidèles demandent aux créatures, la piété des enfants les trouvera tous réunis, pour toujours et dans un sens plus vrai, au sein du souverain Créateur de toutes choses.