7.
« Ne crains point quand un homme est devenu riche, et qu’il étend la gloire de sa maison ». Pourquoi ne pas craindre? « Car à sa mort, il n’emportera pas toutes ses richesses1 ». Tu le vois vivant, pense à son trépas. Tu vois ce qu’il possède, vois ce qu’il doit emporter avec lui. Que doit-il emporter? Il a des monceaux d’or, des monceaux d’argent, de grands domaines, de nombreux esclaves : il meurt, et tout cela va rester il ne sait à qui. Quand même il le laisserait à ceux qu’il veut enrichir, il ne saurait le conserver à ceux à qui il désire le conserver. Plusieurs en effet ont acquis ce qu’on ne leur avait point laissé, et plusieurs ont perdu ce qu’ils avaient reçu en héritage. Tout cela va donc rester, et qu’emportera-t-il avec lui ? Mais, dira-t-on, il emporte au moins le linceul dont on l’enveloppe, et ce que l’on dépense pour lui ériger un tombeau de marbre, qui perpétuera sa mémoire. Et moi je vous dis : Non, pas même cela. On fait tout cela pour un homme privé de tout sentiment. Qu’on orne ainsi un homme dans son lit, profondément endormi, il aurait du moins ces ornements avec lui; et peut-être que, quand il serait couvert de ces riches vêtements, il se croirait en songe couvert de haillons. L’objet qu’il se représente lui fait une plus vive impression qu’un objet qu’il ne voit pas. Bien qu’il n’en doive pas juger ainsi à son réveil, néanmoins l’impression de ce qu’il voyait en songe était plus forte que celle de tout ce qu’il ne voyait pas. Donc, mes frères, que les hommes se disent : Que l’on fasse à ma mort de somptueuses dépenses, qu’ai-je à faire de si riches héritiers? Ils auront dans mes biens une assez forte part ; il est bien juste que j’en détache une partie pour mon corps. Que peut posséder une chair déjà morte? que peut posséder une chair déjà en pourriture, une chair privée de sentiment? Si cet homme, dont la langue était desséchée2, possédait quelque chose, que l’homme, j’y consens, emporte de son bien. Est-ce bien là, mes frères, ce que nous lisons dans l’Evangile? Ce riche avait-il dans les flammes ses vêtements de soie et de lin? Etait-il dans les enfers comme dans ses festins somptueux ? Non, il n’avait point toutes ses richesses quand la soif le dévorait et qu’il demandait un goutte d’eau. L’homme n’emporte donc rien avec lui, et ce n’est point lui qui reçoit ce que l’on donne à sa sépulture. Il n’y a d’homme, que quand il y a sentiment. Où il n’y a plus de sentiment, il n’y a plus d’homme. On voit seulement par terre le vase qui renfermait l’homme, la maison qui le renfermait. Nous appelons le corps une maison, et l’âme est le maître qui y demeure. Cette âme est donc tourmentée dans les enfers : de quoi lui sert que le corps soit enveloppé de précieux tissus, dans les parfums et dans les aromates? Comme si tu ornais les murailles d’un palais dont le maître est en exil. Voilà cet homme qui souffre de la faim et de la soif dans l’exil, à peine a-t-il une hutte où il puisse prendre son sommeil, et tu dis: Qu’il est heureux d’avoir un si beau palais! Qui ne prendra ta parole pour une folie ou pour une raillerie? Tu ornes le corps, et l’âme est dans les tourments. Fais quelque chose pour l’âme, et tu auras fait quelque chose pour le mort. Mais que lui donneras-tu, quand il a désiré une goutte d’eau sans l’obtenir? Il n’a pas voulu jeter avant lui quelque peu de son bien. Pourquoi n’a-t-il pas voulu? Parce que « cette voie est pour eux la voie du scandale ». Il n’a envisagé que la vie présente, il n’a eu d’autre souci que d’être enseveli dans des habits précieux. Son âme lui est enlevée, selon cette parole du Sauveur: « Insensé, on va cette nuit te redemander ton âme, et à qui appartiendra ce que tu as amassé3 ? » Ainsi s’accomplit en lui cette parole de notre psaume : « Ne craignez point, quand un homme sera enrichi, et quand sa gloire s’étendra sur sa famille; car en mourant il n’emportera pas toutes ses richesses, et sa gloire ne le suivra point dans le tombeau ».