3.
Parfois il arrive que des enfants de lumière, entraînés par la faiblesse humaine, portent leur attention sur de pareils hommes, et quand ils voient le bonheur sourire aux méchants, ils chancellent dans leur route, et ils se disent: Quel avantage retiré-je de mon innocence? A quoi me sert d’être fidèle lieu, d’observer ses commandements, d n’être à charge à personne, de ne rien dérober à qui que ce soit, de ne jamais nuire à autrui, d’être, autant que possible utile à prochain?Je remplis tous mes devoirs: les mécréants sont heureux, et moi, je souffre ! Eh quoi! voudrais-tu être aussi un Ziphéen? Ils sont tous brillants en ce monde; mais, au jugement de Dieu, ils se dessécheront, puis ils seront jetés dans le feu éternel. Est-ce cela que tu désires pour toi? As-tu mis en oubli les promesses de celui qui est descendu du ciel vers toi? Ne connais-tu pas l’exempte qu’il t’a lui-même donné? Si l’éclat des Ziphéens méritait d’exciter tes désirs, ton Sauveur ne s’en serait-il pas revêtu pour les jours de sa vie mortelle? Ou bien, la puissance de le faire lui a-t-elle manqué? Il a préféré ne pas se faire connaître; il a mieux aimé dissiper les soupçons que Ponce Pilate élevait sur la nature de sa puissance, et répondre à ses questions, comme s’il adressait la parole à ces orgueilleux Ziphéens eux-mêmes: « Mon royaume n’est pas de ce monde1 ». Il se cachait donc ici-bas, et tous les hommes vertueux s’y cachent, à son exemple, parce que leur véritable bien est au dedans d’eux: il est caché dans leur coeur, dans ce coeur où se trouvent leur foi, leur charité, leur espérance, leur trésor. De tels biens paraissent-ils au regard du monde? Non, ils s’y dérobent, et la récompense que lieu leur réserve ne paraît pas davantage. Comment donc se fait-il que l’éclat des mondains soit si vif? Il éblouit les yeux, mais il ne les éblouira pas toujours. Pareil à la beauté de ces herbes qui naissent et gardent leur verdeur en hiver, pour se flétrir aux premières ardeurs du soleil d’été, il ne durera qu’un moment. Ne nous livrons donc pas à ces pensées que le Prophète développe dans un autre psaume. Il avoue qu’il a failli tomber de défaillance et qu’il a marché d’un pas chancelant dans la voie de Dieu, parce qu’il a vu l’éclat et le bonheur des méchants. Néanmoins, dès qu’il a connu ce que Dieu, souverainement ennemi du mensonge, réserve pour l’avenir aux pécheurs, ce qu’il promet aux justes malheureux, il s’écrie, dans les transports de sa joie et de sa reconnaissance:
« Que le Dieu d’Israël est bon pour ceux qui ont le coeur droit ! mes pas ont chancelé je me suis vu sur le point de tomber ». Et pourquoi? « Parce qu’à la vue du tranquille bonheur des méchants, la jalousie s’est emparée de mon cœur ». Mais sa démarche s’est raffermie, lorsqu’il a pénétré les mystères de l’avenir. Il ajoute dans un autre verset du même psaume: « J’ai trouvé en cela une grande obscurité »; c’est-à-dire, une grande difficulté s’est présentée à mon esprit. Pourquoi les hommes qui font le mal en cette vie, y sont-ils néanmoins si heureux? Pourquoi ceux qui pratiquent la vertu, y sont-ils, au contraire, sujets à tant de peines? Cette difficulté me semblait singulièrement grave, et presque impossible à résoudre. « Je ne vois qu’obscurité devant moi, jusqu’à ce que j’entre dans le sanctuaire de Dieu, et que je pénètre les mystères de l’avenir2 ». Quels mystères l’avenir doit nous révéler? L’Evangile nous les a déjà fait connaître : « Lorsque le Fils de l’homme viendra, tous les peuples de la terre seront rassemblés devant lui, et il les séparera, comme un pasteur sépare les agneaux d’avec les boucs : il mettra les brebis à la droite, elles boucs à la gauche3 ». Les Ziphéens seront d’abord mis de côté, puis ils seront jetés au feu. Verra-t-on briller ceux qui seront placés à la gauche? car alors ils gémiront : alors leur âme sera saisie de repentir, mais d’un repentir hors de saison alors ils s’écrieront: « De quoi nous a servi notre orgueil ? Quel avantage retirons-nous du faste de nos richesses? Tout cela a passé comme l’ombre4 ». O Ziphéens, qui êtes maintenant à la gauches il est trop tard pour vous repentir d’avoir brillé dans l’ombre. Au lieu de reconnaître David, quand il se cachait au milieu de vous, pourquoi le trahissiez-vous? Si alors vous vous étiez corrigés, votre douleur présente ne vous serait point inutile. Il y a un repentir utile, et un repentir qui ne l’est pas. Tu te repens utilement, lorsque tu t’accuses, lorsque tu te reproches ta conduite désordonnée, lorsqu’à la suite de ces secrets reproches, tu combats tes mauvaises habitudes, lorsque, après leur avoir fait la guerre, tu t’en corriges, lorsque tu te convertis, et que, te dépouillant du vieil homme et te revêtant du nouveau, tu préfères les ignominies du Christ à la gloire des Ziphéens.
Pendant que tu renfermes ton trésor dans ton coeur, et que tu es caché parmi les Ziphéens, pendant que tu conserves aussi en secret l’espoir de ton éternelle récompense, s’il t’arrive d’occuper dans le monde un poste élevé, n’en conçois aucun orgueil, car l’orgueil que tu en ressentirais , te précipiterait dans l’éphémère vanité des Ziphéens. Imite plutôt l’exemple d’Esther, de cette sainte femme qu’admira autrefois le peuple juif. Mariée à un roi étranger, elle apprit à quel péril se trouvait exposée toute sa nation, et la nécessité urgente d’intercéder auprès du souverain en faveur d’Israël : elle se mit donc en prière, et, pendant son oraison, elle confessa à Dieu que tous ses ornements royaux n’avaient pas à ses yeux plus de prix qu’un vêtement de femme souillé par la menstruation5. Des hommes ne pourraient-ils pas faire ce que font des femmes, et l’Eglise chrétienne aurait-elle moins de force que cette femme juive ? Je dirai donc à votre charité: « Si les richesses vous surviennent en abondance, n’y arrêtez point votre coeur6 ». Si abondantes qu’elles soient, si grande que soit ici-bas ta prospérité, ne te fie pas à cette mer, ne te fie point à ses apparences séduisantes. Si tu deviens riche, et que ta fortune s’accroisse sans cesse, foule aux pieds les biens de la terre, attache ton coeur à Dieu. En t’élevant au-dessus d’eux, et donnant à Dieu tes affections, tu ne seras pas exposé à tomber lorsqu’ils manqueront sous tes pieds. Ainsi il ne t’arrivera point, par Je fait d’une pensée déréglée et peu chrétienne, ce qui est marqué en un autre psaume. Après avoir parlé de l’éclat des Ziphéens, le Prophète ajoute: « Vos pensées sont étrangement profondes ». Oui, je le répète: « Vos pensées sont étrangement profondes: l’imprudent ne les comprendra pas ; l’insensé n’en saisira pas le sens ». Qu’est-ce qu’il ne comprendra pas? le voici : « Les méchants s’élèveront comme l’herbe, et tous ceux qui commettent l’iniquité paraîtront;et, finalement, ils périront à jamais dans la suite de tous les siècles7 ». L’éclat des méchants les a fascinés, et ils ont dit en eux-mêmes: Les méchants sont en honneur; à ce trait, il me semble que Dieu les aime. Entraînés alors par le désir de partager la gloire temporelle des méchants, ils se sont précipités dans le mal, et leur perte ne sera point de quelques instants, comme leur éclat, mais elle durera autant que les siècles des siècles. En voici la raison : L’imprudent ne comprendra pas, et l’insensé ne pénétrera pas les secrets de l’avenir, parce qu’il n’entre pas dans le sanctuaire du Seigneur pour en avoir l’intelligence; et, parce que cette intelligence est difficile à acquérir, ce psaume commence par nous faire voir David caché au milieu des Ziphéens, ne désirant nullement leur éclat, mais surtout pratiquant l’humilité, afin de posséder en Dieu une beauté secrète et cachée,
Quel est donc le titre de ce psaume ? Qu’y est-il dit de David? : « Pour la fin, dans les hymnes, » c’est-à-dire, dans les louanges. Et quelles louanges? « Le Seigneur me l’a donné, le Seigneur me l’a ôté; il a été fait selon son bon plaisir: que son saint nom soit béni8! » La perte de tous ses biens était-elle une preuve que Job était desséché ? Non ; les feuilles étaient tombées, mais la racine restait toujours vigoureuse. Donc, « pour la fin, dans les hymnes ». Et ensuite? « Intelligence à David ». Intelligence, par opposition à ces autres paroles: «L’imprudent ne connaîtra pas ces choses, et l’insensé ne les comprendra point. Intelligence à David, lorsque les Ziphéens vinrent trouver Saül, et lui dirent: Est-ce que David ne s’est point retiré chez nous? » Que David soit caché chez vous, si vous le voulez; mais que, du moins, votre gloire ne soit pas la sienne. Ecoute donc sa prière.