9.
Mais quand? oui, quand le rendra-t-il? Parfois les méchants triomphent, les méchants tressaillent, ils blasphèment, ils font toutes sortes de maux. En es-tu étonné ? Cherche avec piété plutôt que de blâmer avec orgueil. En es-tu étonné? Le Psalmiste est dans la même peine et il cherche avec toi non point qu’il en ignore la cause, mais il cherche ce qu’il sait bien, afin que tu trouves en lui ce que tu ne sais pas encore. Quand un homme veut consoler un autre homme, il ne le relève point sans pleurer d’abord avec lui. Il pleure donc avec lui, d’abord, puis il lui donne des paroles consolantes. Mais s’il entrait chez lui en se raillant de sa tristesse, il n’agirait point comme nous l’avons lu tout à l’heure dans l’Apôtre : « Réjouissez-vous avec ceux qui se réjouissent, et pleurez avec ceux ce qui pleurent1 ». Tu pleures donc avec lui, d’abord, afin qu’ensuite il entre dans ta joie; tu entres dans sa douleur afin de le relever:
c’est ainsi que le psaume, de même que l’Esprit de Dieu qui sait tout, cherche avec toi, et s’empare en quelque sorte de tes paroles: « Jusques à quand, Seigneur, jusques à quand les pécheurs seront-ils dans la joie?jusques à quand répondront-ils et diront-ils l’iniquité? jusques à quand élèveront-ils la voix, ceux qui commettent l’iniquité2?» N’est-ce point parler contre Dieu, que de dire : De quoi nous sert de vivre de la sorte? Que dira-t-il? Que font à Dieu les actions des hommes? Parce qu’ils vivent, ils s’imaginent que Dieu ne sait ce qu’ils font. Vois quel est leur malheur: l’homme du poste qui les verrait les arrêterait, aussi cherchent-ils à éviter tout poste, dans la crainte d’être arrêtés; mais nul ne peut échapper à l’oeil de Dieu, qui voit non-seulement dans la chambre la plus secrète, mais dans le secret de notre coeur. Eux aussi croient que l’on ne peut rien déclarer à Dieu, et parce qu’ils ont la conscience du crime qu’ils commettent, qu’ils se trouvent en vie bien que Dieu connaisse leurs crimes, ils se disent : Tout cela plaît donc à Dieu, car si nos actions déplaisaient à Dieu comme elles déplaisent aux juges, comme elles déplaisaient aux rois, aux empereurs, à ceux qui sont chargés d’en connaître, pourrions-nous échapper à l’oeil de Dieu, comme nous échappons à l’oeil des hommes? Nos oeuvres plaisent donc à Dieu? Aussi Dieu dans un autre psaume fait-il ce reproche à l’impie: « Voilà ce que tu as fait, et je me suis tu: tu as soupçonné l’iniquité, tu as pensé que je ce serais semblable à toi3 ». Qu’est-ce à dire: « Je serais semblable à toi ? Que je me plairais dans tes crimes comme tu t’y plais. Puis vient la menace de l’avenir : « Je te convaincrai ». Il ne se tait donc point celui qui a dit : « Je me suis tu ». Bien qu’il ait dit : « Voilà ce que tu as fait, et je me suis tu, et tu as soupçonné l’iniquité en croyant que je serais ce semblable à toi » : néanmoins il n’avait point gardé le silence. Lorsque nous parlons, il ne se tait point; quand le lecteur lit, Dieu ne se tait point; quand le Psalmiste chante, Dieu ne se tait point. Or, toutes ces voix de Dieu se dispersent dans l’univers entier, Comment donc Dieu peut-il se taire et ne point se taire? Sa parole ne se tait point, mais sa vengeance se tait. Qu’est-ce à dire alors: « Voilà ce que tu as fait, et je me suis tu? »Voilà ce que tu as fait, et je n’en ai point tiré vengeance. « Dès lors tu as soupçonné que je serais mauvais et semblable à toi». Dieu parle ailleurs de ce silence à l’égard de la punition, ou plutôt du châtiment différé : « Je me suis tu, me tairai-je donc toujours4 ? ». « Jusques à quand, Seigneur, jusques à quand les pécheurs se glorifieront-ils, jusques à quand répondront-ils pour dire l’iniquité, et devront-ils parler ceux qui commettent l’injustice?» Il énumère toutes leurs oeuvres : « Ils répondront, ils diront d’iniquité ». Qu’est-ce à dire : « Ils répondront?»Ils trouvent une réponse qui déroute le juste. Un homme de bien vient et leur dit:
Loin de toi l’iniquité. Pourquoi? De peur de mourir. Voilà que je l’ai commise, pourquoi donc ne suis-je point mort? Un tel a fait des oeuvres de justice et il est mort: pourquoi? Moi, j’ai commis l’iniquité : pourquoi Dieu ne m’a-t-il pas ôté la vie? Pourquoi donc a-t-il tiré vengeance de celui qui a fait les oeuvres de la justice? Pourquoi tel autre est-il dans la misère, vous diront-ils ? Voilà ce que David appelle répondre. Ils ont de quoi vous répliquer: ils trouvent de quoi répondre dans la patience de Dieu à qui les épargne. Dieu les épargne dans un motif, et ils répondent par un autre motif, c’est qu’ils vivent. L’Apôtre, en effet, nous dit pourquoi Dieu les épargne et nous explique le dessein de Dieu dans cette patience. « Penses-tu donc en agissant de la sorte que tu éviteras le jugement de Dieu? Oses-tu mépriser les richesses de sa bonté, de sa patience? Ignores-tu que la patience de Dieu t’invite à la pénitence? Quant à toi », c’est-à-dire à celui qui répond et qui dit: Si je déplaisais à Dieu, Dieu ne m’épargnerait pas ainsi; vois le tort que tu te fais à toi-même, écoute l’Apôtre : « Pour toi, par la dureté, par l’impénitence de ton coeur, tu amasses coutre toi un trésor de colère, pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses oeuvres5 ». Dieu donc prolonge sa bonté, lorsque tu prolonges ton iniquité. Il aura un trésor d’éternelle miséricorde pour ceux qui n’auront point méprisé sa miséricorde; mais toi, ton trésor sera dans la colère: ce que tu amasses chaque jour peu à peu deviendra une masse accablante, tu la grossis insensiblement, et tu arriveras au comble. Ne compte point chaque jour sur la légèreté des fautes; les moindres gouttes forment de grands fleuves,