9.
« Il produit du foin pour les animaux, et des plantes pour le service de l’homme1». Cela est vrai, je le vois, je reconnais la création; la terre produit du foin pour les animaux, et des plantes pour le service de l’homme. Mais le Seigneur a d’autres animaux désignés par cette parole : « Vous ne lierez point la bouche au boeuf qui foule le grain ». Un de ces boeufs mystérieux s’écrie : « Dieu se met-il donc en peine des boeufs? » C’est pour nous que l’Ecriture tient ce langage. Comment donc la terre produit-elle du foin pour les bêtes de somme? « C’est que Dieu a réglé que ceux qui prêchent l’Evangile, doivent vivre de l’Evangile ». Il a envoyé des prédicateurs, et leur a dit : « Mangez tout ce que l’on vous présentera, car l’ouvrier est digne de son salaire2 ». Après leur avoir dit : « Mangez ce que l’on mettra devant vous »; de peur qu’ils ne répondent: Irons-nous donc, lorsque nous aurons faim, nous présenter à la table des hommes, nous commandez-vous cette effronterie ? Non, dit le Sauveur, ce n’est point un don qui vous sera fait, mais une récompense que vous recevrez. Une récompense de quoi? Que donnent-ils? Que reçoivent-ils ? Ils donnent le spirituel, ils reçoivent le temporel. Ils donnent de l’or et reçoivent du foin. « Car toute chair n’est que foin, tout éclat de la chair n’est que la fleur d’une herbe3 ». Tous ces biens temporels, qui sont chez toi abondants et superflus, ne sont que le foin des animaux. Pourquoi ? Parce que ce sont des biens charnels. Ecoute à quels animaux ils servent de nourriture : «Si nous avons semé des biens spirituels, est-ce beaucoup de recueillir quelque peu, de vos biens du temps?» Voilà ce que disait l’Apôtre, ce prédicateur si laborieux, si courageux, si infatigable, qui rendait même à la terre son foin. « Pour moi, dit-il, je n’ai fait aucun usage de tout cela ». Il montre ce qu’on lui doit, sans l’accepter néanmoins, mais sans condamner ceux qui recevaient ce qui leur était dû. Ils eussent été condamnables d’accepter ce qui n’était point dû, mais non d’accepter leur récompense : bien que pour lui, il abandonne cette récompense. Qu’un homme te remette ce que tu dois, tu n’en es pas moins débiteur envers un autre; en ce cas, tu ne serais plus une terre arrosée, et produisant du foin pour les animaux. « La terre sera rassasiée de tes fruits; elle produira du foin pour les bêtes de somme ». Quant à toi, ne sois point stérile, produis du foin pour les bêtes de somme; si elles ne veulent pas de ton foin, ne sois pas stérile pour cela. Tu reçois des biens spirituels, donne dès biens temporels : on doit la solde au milicien, donne-lui sa solde, tu es l’intendant du Christ. « Qui marche à la guerre à ses propres dépens? Qui plante une vigne sans en goûter le fruit? Qui fait paître le troupeau, sans avoir « quelque part à son lait? » Je ne vous tiens pas ce langage pour que vous en agissiez de la sorte à mon égard. S’il se trouve un milicien pour remettre sa solde à l’intendant, que l’intendant paie toujours la solde. Et pour parler avec David, ce sont des bêtes de somme; or: « Ne liez pas la bouche au boeuf qui foule le grain4. La terre produit du foin pour les bêtes de somme » ; et comme pour expliquer cette parole, il ajoute : « Et des plantes pour le service des hommes ». De peur que tu ne comprennes point ces paroles: que « la terre produit du foin pour les bêtes de somme». Il les explique en répétant ce qu’il a dit d’abord. Ce qu’il avait appelé « foin», il l’appelle ensuite « une herbe», et ce qu’il appelait « bêtes de somme », il l’appelle «service de l’homme ». C’est donc pour la servitude, et non pour la liberté. Que devient cette parole : « Vous êtes appelés à la liberté5? » Mais écoute le même Apôtre: « Libre à l’égard de tous, je me suis fait le serviteur de tous, pour les gagner en plus grand nombre6 ». A qui dit-il : «Vous êtes appelés à la liberté?» Que dit-il ensuite? « Gardez-vous seulement d’abuser de cette liberté pour vivre selon la chair? Mais assujettissez-vous les uns aux autres par la charité7 ». Le voilà qui asservit ceux qu’il appelait tout à l’heure à la ‘liberté; toutefois ils ne sont point assujettis par condition, mais par la rédemption du Christ, non par la nécessité, mais par la charité, «Assujettissez-vous les uns aux autres par la charité » , dit saint Paul. Nous sommes serviteurs du Christ, me répondra quelqu’un, mais non de la populace, non des hommes charnels, non des faibles, Tu n’es vraiment serviteur du Christ, qu’en servant ceux dont le Christ a été serviteur. N’est-il pas dit de lui, qu’ « il a été le serviteur de plusieurs? » Le Prophète l’a dit, et on ne peut l’entendre que du Christ. Ecoutons cependant ce qu’il dit lui-même dans l’Evangile : « Quiconque veut être le plus grand, sera votre serviteur8». Il te fait donc mon serviteur, celui qui t’a fait libre par son sang. Parlez-nous de la sorte, et vous direz vrai. Ecoute un autre passage: « Nous sommes vos serviteurs par Jésus-Christ9 ». Aimez donc vos serviteurs, mais serviteurs dans le Christ. Qu’il nous donne d’être de bons serviteurs. Car, de gré ou de force, il nous faut servir : et si nous servons volontairement, nous servons par charité, non par nécessité. Car cet orgueil des serviteurs se soulevait en quelque sorte à cette parole du Seigneur: « Quiconque voudra être le plus grand parmi vous sera votre serviteur ». Déjà les fils de Zébédée lui avaient demandé les premières places : l’un voulait s’asseoir à sa droite et l’autre à sa gauche, et ils faisaient demander par leur mère ce qu’ils désiraient. Sans leur refuser ces places, le Seigneur leur montra cette vallée de larmes, comme pour leur dire : Voulez-vous venir où je suis moi-même? venez par le même chemin. Qu’est-ce à dire, par le même chemin? Par l’humilité. Je suis venu d’en haut, et c’est de si bas que je remonte : je vous ai trouvés sur la terre, et vous prétendez voler avant d’avoir pris des forces : nourrissez-vous d’abord, fortifiez-vous, et supportez votre nid. Que dit-il? Comment rappeler à l’humilité ces disciples qui recherchent déjà la grandeur ? « Pouvez-vous boire le calice que je « boirai moi-même? » Et eux, orgueilleux jusque dans la réponse : « Nous le pouvons », dirent-ils; de même que Pierre dira plus tard : « Je vous suivrai jusqu’à la mort». Il montre du courage, mais jusqu’à ce qu’une femme dise: « Celui-ci était aussi avec eux10 ». «Nous le pouvons », disent les deux frères. «Pouvez-vous? Nous pouvons». Quant au Christ: «Vous boirez à la vérité mon calice », bien que vous ne le puissiez maintenant : « Vous le boirez » néanmoins: comme le Sauveur avait dit à Pierre : « Tu ne saurais me suivre » aujourd’hui; tu me suivras plus tard11. Vous boirez à la vérité mon calice; mais quant à vous asseoir à ma droite ou à ma gauche, il ne m’appartient pas de vous le donner12 ». Qu’est-ce à dire: « Il ne m’apparu tient pas de vous le donner ? » Il ne m’appartient pas de le donner à des orgueilleux. Or, vous êtes orgueilleux, vous à qui je m’adresse; et dès lors: « Il ne m’appartient pas de vous le donner». Mais, diront-ils, nous deviendrons humbles. Vous ne serez donc plus ce que vous êtes, et c’est à vous tels que vous êtes que j’ai parlé. Je n’ai point dit que je ne le donnerai pas aux humbles, mais bien : Je ne le donnerai pas aux superbes. Or, que l’orgueilleux devienne humble, il n’est plus ce qu’il était,